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Littér'auteurs
21 décembre 2014

Voeux

2014

Meilleurs bœufs

dit le pâtre

Meilleurs deux

dit le matheux

Meilleurs feux

dit l’amoureux

Meilleurs gueux

dit le hère

Meilleurs jeux

dit l’enfant

Meilleurs meuhs

dit la vache

Meilleurs nœuds

dit le marin

Meilleurs peus

dit l’ascète

Meilleurs queux

dit le Maître

Meilleurs vœux

dit celui qui n’a rien d’autre à faire.

 

Paul Fournel

Écrivain, poète, auteur dramatique, Paul Fournel est entré à l’Oulipo en 1972, son mémoire de maîtrise portant sur Raymond Queneau. Il appartient à cette deuxième génération d’oulipiens, cooptés du vivant de Queneau, et occupe le poste de secrétaire définitivement provisoire. Auteur du premier livre consacré à l’Oulipo, Clefs pour la littérature potentielle, spécialiste de Guignol, Paul Fournel a aussi été éditeur, et dirigé les éditions Ramsay, puis Seghers de 1987 à 1992. Beaucoup de ses livres ont été couronnés de prix littéraires  : Bourse Del Duca, Goncourt de la nouvelle, Renaudot des lycées, etc. Il est, depuis Mai 2004, Président de l’Oulipo.

 


Une pierre deux coups, en ce dimanche de prélude aux festivités de fin d'une année et de l'entrée dans une nouvelle. 

Un clin d'oeil à ces dimanches poétiques que j'honore parfois, sans régularité, mais que j'aime, parce que la poésie dit au delà de l'évènementiel, qu'elle est universelle, et qu'elle ne date jamais dans les messages qu'elle transmet.

Et un clin d'oeil pour un concours que PriceMinister (pour savoir de quoi il s'agit, c'est ici) organise pour récompenser un bloggeur (trois pour tout dire) s'il est sélectionné pour "le plus beau des sapins", ou "le plus fun", ou le plus « je n’ai pas de sapin mais je veux participer". Ce sont les termes. Un sapin, cette année ? DOUZE... une petite forêt...

Alors il me fait plaisir (et désir) de participer. Et comme je dois choisir - pour le cas peu probable où je serais distinguée - un cadeau dans la limite de 300 €, voici ce qu'il me plairait de voir au pied de l'un de ces sapins que j'ai composés en chocolat (noir, lait, blanc, caramel, praliné) et qui ont décoré la table de Noël à Nice, le 25 décembre.

montre

Une montre connectée (réf ici)

 

superSapin

 

 

 

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17 mars 2015

CAHIERS DU JOUR : 17 mars ¨ Aujourd'hui fallait pas que

2015

Fallait pas que mon numéro de téléphone tombe sous les yeux de ce monsieur, ce matin. Non, fallait pas qu’il m’appelle pour me vendre un truc. Je les reconnais tout de suite ces vendeurs de trucs. À leur accent et à leur manière d’écorcher mon nom. Je sais bien qu’il s’agit de leur gagne-pain, je sais bien qu’ils sont harceleurs par nécessité et non par vocation. Mais, fallait pas… Quand il m’a dit : « Laissez-moi le temps de vous expliquer », j’ai pris la balle au bond : « Moi, je ne l’ai pas, le temps ». Fallait pas…

© Martine Littér'auteurs - 17 mars 2015

https://www.facebook.com/martine.crasez


Les 366 réels à prise rapide correspondent à un exercice d’écriture de Raymond Queneau tiré des Exercices de Style. Il s’agit d’écrire chaque jour un texte sur un thème proposé sous la forme “Aujourd’hui [quelque chose]“.


Les règles sont les suivantes : écrire sur le vif, ne pas écrire plus de 100 mots, rapporter des éléments réels de sa journée sans en inventer et sans se référer à un jour antérieur, suivre la thématique de la date correspondante. La liste des thèmes et le règlement sont ici

La bande des "aujourd'hiens" et des "aujourd'huistes", répertoriée à ce jour (clic sur le nom de leur blog) :

Valentyne, sur son blog "La jument verte", Fred Mili, sur "Histoire et Nouvelles", Marlaguette, sur "Destinée de pacotille", Jacou, sur "Les mots autographes", Dominique, sur "Un esprit sain dans un corsage", Asphodèle, sur "Les lectures d'Asphodèle, les humeurs et l'écriture"Martine, sur "Mon carnet à Malices" Croc, sur "Des mots et des images", Rebecca Zartarian-Arabian, ICINadael sur « Les mots de la fin« . Prudence Petitpas, ICIMarie-Jo64, sur Mijo espace

Prochain épisode : 18 mars ¨ Aujourd'hui un moment où j'ai regardé l'heure.

10 mai 2015

CAHIERS DU JOUR : 10 mai ¨ Aujourd'hui une multitude de

2015

Une multitude de feuilles, de branches, de ramilles compose cette voute végétale sous laquelle j'ai flâné, cet après-midi. Une trouée de verdure, une échappée vers le ciel bleu de cette journée soleilleuse qui annonce l'arrivée tant espérée de la belle saison. Un instant de quiétude que les gazouillis des oiseaux n'altèrent pas : la petite gent ailée participe guillerettement au rendez-vous vernal. 

© Martine Littér'auteurs - 10 mai 2015 

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Prochain épisode : 11 mai ¨ Aujourd'hui il FAUT.

13 mai 2015

CAHIERS DU JOUR : 13 mai ¨ Aujourd'hui la toute première question qu'on va vous poser

 

2015

J'aurais pu rédiger ce billet hier, ou avant-hier, ou n'importe quel jour. "As-tu bien dormi ?", c'est rituellement la question que chaque matin me pose mon mari. C'est immanquablement  celle à laquelle je réponds, en terminant par "Et toi ?".

Cette nuit fut agitée, malgré mes cinq kilomètres de vadrouille dans la ville. Cinq kilomètres trois cent vingt, m'annonce mon podomètre ! Mais une pause thé, vers seize heures, a eu raison de mon sommeil. Et ma matounette câline a fait le reste, en venant se glisser contre moi, toute douce et ronronnante. 

© Martine Littér'auteurs - 12 mai 2015 

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Prochain épisode : 14 mai¨ Aujourd'hui enfant.

9 avril 2015

CAHIERS DU JOUR : 9 avril ¨ Aujourd'hui contre le mur.

2015

"La tristesse est un mur entre deux jardins" (Khalil Gibran).  

Alors, pour tenter d'égayer ce mur, et pour qu'il ne devienne pas de lamentations, je  le décore de photos. Des photos qui jalonnent mon histoire et celle de mon époux : les enfants, les petits-enfants.

Comme des sollicitudes mutuelles que les uns exerceraient sur les autres.

tendre vigilance,
affectueuse attention,
connivence silencieuse,
délicate dilection,
complicité quotidienne,
entente secrète.

Contre mon mur, personne n'est triste ; nous partageons les mêmes jardins, eux et moi. Les mêmes regards sur ce qui nous réunit au-delà des éloignements.

©Martine Littér'auteurs - 09 avril 2015

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Le règlement des "366 réels à prise rapide" et la liste des 18 participants que j'ai répertoriés à ce jour sont ici

 

Prochain épisode : 10 avril ¨Aujourd'hui tout ce qui brille.

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15 mai 2015

CAHIERS DU JOUR : 15 mai ¨ Aujourd'hui un mot en anglais

 

2015

Ne me parlez pas de l'anglais en anglais, s'il vous plaît. Je suis née avant 1968 et la France, du haut de sa suffisance, n'avait pas intégré le caractère inéluctable de cet idiome. Je suis une handicapée des langues, une inadaptée du bien causer international, une égrotante de la british phraséologie.

Le voilà, mon mot en anglais ! "British" ! Je ne me savais pas si polyglotte, moi qui de l'espagnol ou de l'allemand n'ai jamais su faire usage, en dépit des années passées à les bachoter.

Mais le latin… Ah ! Le latin ! J'en profite toujours.

© Martine Littér'auteurs - 15 mai 2015 

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Prochain épisode : 16 mai ¨Aujourd'hui la sécurité c'est

17 mai 2015

CAHIERS DU JOUR : 17 mai ¨Aujourd'hui tache.

2015-05-17 TACHE

Taches blanches sur lit de verdure. Délicates et discrètes efflorescences que le soleil n'a pas encore empourprées de la vigueur de ses rais. Gouttelettes lactescentes gracieusement nichées dans un berceau verdelet. Sur l'accotement d'une chaussée qui soudain s'est animée du roulement d'une centaine de petites reines. Effrayées, les fleurettes ont piqué du nez et laissé passer le tumulte d'une course cycliste. Ces souveraines roturières n'ont aucun savoir-vivre, ni respect pour la majesté et la somptuosité naturelles. 

01

© Martine Littér'auteurs - 17 mai 2015 

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Prochain épisode : 18 mai ¨Aujourd'hui elle a dit

14 mai 2015

CAHIERS DU JOUR : 14 mai¨ Aujourd'hui enfant

 

2015-05-14 - ENFANT

Il existe des rites initiatiques et des rites de passage au sein de la tribu humaine. Tandis que les premiers marquent l'incorporation d'un individu dans le groupe, les seconds estampillent une étape dans sa vie. Aujourd'hui, un concours de pétanque a réuni une centaine de personnes sur l'aire de loisirs de mon village. Dont quatre enfants.

Rite initiatique ou rite de passage pour ces gamins qui miment savamment la gestuelle des adultes ? Reste à espérer qu'à la buvette, après les joutes, ils retrouveront leur âme de pitchoun en sirotant une limonade.

© Martine Littér'auteurs - 14 mai 2015 

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Prochain épisode : 15 mai ¨ Aujourd'hui un mot en anglais

11 mai 2015

CAHIERS DU JOUR : 11 mai ¨ Aujourd'hui il FAUT.

2015

Yfo, yaka, fokon…

Ah que je n'envie pas

les donneurs de leçons,
les montreurs de certitudes,
les distributeurs de conseils,
les vendeurs de solutions,
les trompeteurs de vérités,
les colporteurs d'idées reçues,

qui, en toutes circonstances,
affirment qu'ils détiennent
la bonne et unique réponse
à chaque situation.

Ah que je n'envie pas

les corsetés d'évidences,
les caparaçonnés de clichés,
les encoquillés de principes,
les cuirassés de sentences,
les résolveurs de problèmes,
les fabricants de postulats,

qui savent pour les autres,
ce qui est bien pour eux,
et masquent de leurs assertions
leur propre pusillanimité.

© Martine Littér'auteurs - 11 mai 2015 

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Prochain épisode : 12 mai ¨ Fragment d'aujourd'hui raconté en poésie.

12 novembre 2012

NÉMÉSIS ; Philip Roth

Nemesis

"Situé dans les environs de Newark, à l'époque où éclate une terrible épidémie de polio, Némésis décrit avec précision le jeu des circonstances sur nos vies. Pendant l'été 1944, Bucky Cantor, un jeune homme de vingt-trois ans, vigoureux, doté d'un grand sens du devoir, anime et dirige un terrain de jeu. Lanceur de javelot, haltérophile, il a honte de ne pas avoir pris part à la guerre aux côtés de ses contemporains en raison de sa mauvaise vue. Tandis que la maladie provoque des ravages parmi les enfants qui jouent sur le terrain, Roth nous fait sentir chaque parcelle d'émotion que peut susciter une telle calamité : peur, panique, colère, perplexité, souffrance et peine. Des rues de Newark au camp de vacances rudimentaire, haut dans les Poconos, Némésis dépeint avec tendresse le sort réservé aux enfants, le glissement de Cantor dans la tragédie personnelle et les effets terribles que produit une épidémie de polio sur la vie d'une communauté de Newark, étroitement organisée autour de la famille."

ENTRETIEN IMAGINAIRE AVEC PHILIP ROTH

 Littér'auteurs : Monsieur Roth, accepteriez-vous de vous présenter ?

Philip Roth : Je suis né le 19 mars 1933, à Newark, dans le New Jersey. Je suis un écrivain américain. Je suis petit-fils d'immigrés juifs, originaires de Galicie, et arrivé aux États-Unis au tournant du XXème siècle. Je suis né et j'ai vécu une enfance heureuse dans le quartier de Weequahic. Depuis les années 60, je me consacre entièrement à l'écriture, après avoir enseigné les lettres. Je vis maintenant dans le Connecticut.

Littér'auteurs : Vous êtes un écrivain très prolifique ; vous avez signé une trentaine de romans, dont le premier (une nouvelle, en réalité), Goodbye Colombus, a été publié en 1959. Déjà, vos personnages sont de confession juive, déjà Newark sert de scène aux protagonistes. En 53 ans, vous n'avez pas abandonné vos racines et vos origines !

Philipp Roth : Il est vrai que mes fictions ont un caractère qui peut sembler fortement autobioraphique. Le contexte de la vie des juifs américains (notamment des hommes) m'a beaucoup intéressé. Même si je me considère comme un citoyen parmi les autres, je reconnais volontiers que mes écrits relèvent de la satire sociale et politique. Par exemple, dans Portnoy et son complexe, paru en 1969, j'évoque les relations d'un fils avec sa mère... juifs tous les deux, en adoptant un styler littéraire provocateur. Mes premiers textes, quelque peu lestes, m'ont relégué au rang de traître dans la communauté juive. Et c'est pourtant cette communauté que je connais le mieux ! Dans tous ses paradoxes.
Je voudrais cependant corriger votre phrase : "j'ai été" un écrivain très prolifique ; le roman dont nous allons parler, Némésis (2010), est le dernier que j'ai écrit, mais aussi le dernier que j'écrirai.Je l'ai annoncé il y a un peu plus d'un mois*. Voici trois ans que je n'avais rien publié, moi qui, jusqu'alors, enchaînais romans sur romans. Non, je préfère désormais travailler sur mes archives pour les remettre à mon biographe.

Littér'auteurs : Némésis... Dans la mythologie grecque, elle est la déesse de la juste colère des dieux, parfois assimilée à la vengeance. C'est, en effet, l'un des thèmes de votre dernier roman.

Philipp Roth : Pas seulement celui de ce dernier roman ! En réalité, ce texte fait partie d'une tétralogie qui, outre celui-ci, rassemble Un homme (2006), Indignation (2008) et Le Rabaissement (2009). J'ai aussi utilisé cette thématique dans Le Complot contre L'Amérique (2004) : quel sens donner aux catastrophes qui s'abattent sur une communauté et contre lesquels la volonté humaine ne peut rien changer ? La solitude et la maladie en sont des constantes.

Littér'auteurs : Qui est Bucky Cantor, le personnage principal de votre roman ?

Philipp Roth : Un brave gars, pétri de honte et de culpabilité, parce que sa mauvaise vue lui a interdit la conscription. Nous sommes en 1944, en pleine guerre mondiale. Tous les amis du jeune homme ont été enrôlés et risquent leur vie. Lui non. Il doit se résigner à s'occuper des gosses d'un quartier juif de Newark : il est directeur d'un terrain de sport. C'est un domaine dans lequel il excelle, c'est un remarquable lanceur de javelot. Élevé par ses grands-parents maternels (sa mère est morte en couche, et son père, escroc, a disparu de sa vie), il a un sens aigu de la dignité, de la responsabilité, de la droiture. C'est un homme, ce Mr Cantor ! On peut compter sur lui ! D'ailleurs, lorsque la polio s'abat sur la ville, décimant sans pitié les enfants dont il a la charge, il fait courageusement front en essayant de les protéger, de les consoler, de les encourager. Mais contre un fléau de ce genre, qu'est la seule bonne volonté d'un homme ? Lorsqu'il finit par baisser les bras, et qu'il cède à l'amour qu'il porte à Marcia en fuyant Newark, il emmène avec lui sa culpabilité... mais aussi la maladie.

Litér'auteurs : Voici le sujet ainsi énoncé... mais quelle en est la symbolique ? Maladie, oui. Solitude ?

Philipp Roth : Le narrateur n'est pas Bucky Cantor. C'est en découvrant son identité que le lecteur comprendra comment j'aborde cet objet. Je ne vais pas dévoiler mon sujet, mais Cantor, avec son sens du devoir, de la responsabilité, avec sa culpabilité qui lui colle à la peau, et aussi avec un très fort sentiment de religiosité porte en lui la nécessité, l'obligation, l'impératif de faire face à la malédiction qui pèse sur son petit monde juif.

Littér'auteurs : Malédiction... Peuple Juif... 1944... Coïncidence ?

Philipp Roth : Certes pas. Mais je ne pense pas qu'il faille systématiquement entr'apercevoir dans ce roman, un texte de plus qui évoquerait la Shoah  au sens du judéocide, mais plutôt ce qui fait référence au terme hébreu " שואה", c'est à dire "catastrophe". La polio, c'est une réelle calamité dans le monde dans lequel évolue le héros. Mais ce qui la rend davantage tragique, c'est l'incompréhension. Quel sens donner, en effet, à cette épreuve ? Si Bucky Cantor, dans sa faillite, se ressent, là encore, responsable, l'autre personnage principal de mon roman prouvera qu'il est possible de faire surface et d'être heureux. Cantor n'y parviendra pas.

Littér'auteurs : Et Dieu, dans tout ça ?

Philipp Roth : Cantor finira par douter, par se rebeller, par invectiver ce Dieu qui inflige la maladie, le handicap, la mort, aux innocents que sont les enfants qu'il côtoie. C'est un peu comme une délégation de responsabilité ; il faut bien que quelqu'un - même suprême - assume ! Mais, dans ce roman, c'est vraiment la question du sens de la vie, des raisons de la vie que j'ai voulu traiter. Et je n'ai pas trouvé la réponse. Les lecteurs m'y aideront-ils ?

 

ROTH

Philipp Roth

Les propos qui lui sont prêtés ici sont, bien sûr, absolument imaginés. Seules les biographies et bibliographies, bien qu'incomplètes, ne sont pas virtuelles.

* ça, c'est vrai, il l'a dit ici

 

 

 

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17 mars 2013

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Ana Blandiana au Salon du Livre 2013

salon du livre


Pour sa 33ème édition, le Salon du livre met à l'honneur les Lettres Roumaines. Vingt-sept auteurs roumains seront présents à Versailles du 22 au 25 mars.

Ana Blandiana

Ana Blandiana est née en 1942, près de Timişoara. C'est une poétesse dont l’œuvre est emblématique d’une littérature entre les tensions de l’oppression et une tradition vive de créativité. Auteur d’une œuvre délicate presque totalement méconnue en français en dépit de sa notoriété de femme engagée auprès de la société civile, Ana Blandiana est aussi l’auteur d’un roman polyphonique sur les conditions de la création littéraire dans une société fermée et totalitaire. Après la publication de son premier poème paru sous le pseudonyme d’Ana Blandiana, elle fut dénoncée comme « fille d’un ennemi du peuple » et empêchée de s’inscrire à la Faculté pendant quatre années consécutives. Après ce faux départ imposé par le régime communiste, elle se réinscrit en 1963 à la Faculté de philologie de Cluj et publie, en 1964, son premier recueil de poèmes au titre annonciateur de ses engagements futurs : La Première personne du pluriel. Ana Blandiana crée en 1990 l’Alliance civique, maillon essentiel dans la vie de la « polis » après la chute de la dictature. Elle fonde également le Mémorial des Victimes du Communisme et de la Résistance, à Sighet (nord de la Roumanie). Elle a été traduite dans de nombreuses langues.

printemps des poètes

Jusqu'au 25 mars, dans le cadre du Printemps des Poètes, je présenterai chaque jour un poème d'Ana Blandiana, en hommage à cette dame, invitée du salon. Chaque page est extraite de l'un des recueils de la poétesse : "Autrefois les arbres avaient des yeux", édité au Cahiers Bleus/Libraire Bleue, en décembre 2005.

 

 

Rencontre

N'aie pas peur.
Tout sera tellement plus simple
Que tu ne comprendras
Que bien plus tard.
Tu attendras au début
Et tu n'auras de la peine
Que lorsque
Tu commenceras à croire
Que je ne t'aime plus,
Mais alors je mettrai
Un brin d'herbe à pousser
Dans un coin connu du jardin,
Qu'il arrive jusqu'à toi
Et te murmure :
N'ayez pas peur,
Elle est bien
Et vous attend
À mon autre bout

Anna Biandana - Cinquante poèmes (in Autrefois les arbres avaient des yeux) - 1970

16 avril 2013

IL ÉTAIT UNE FOIS... CONTES EN HAÏKU ; Agnès Domergue & Cécile Hudrisier

Contes en haiku 3

En lisant la chronique de Marilyne, j'ai immédiatement pensé à ma "bibliobambins". "Il était une fois"... des contes pour mes 7, 6 et 5 ans (et demi pour les trois) ! Bonheur et plaisir de la narration.Des loups qui veulent manger des enfants, des pantins au nez qui s'allonge à chaque mensonge, des marâtres qui donnent aux pommes la couleur de la haine... Le soir, blotti dans son lit, on a peur, peur, peur... mais à force de connaître le dénouement, on a toujours aussi peur, mais on exorcise.

"Contes en haïku"... double bonheur et plaisir ! De la poésie, pensez donc ! De la poésie à glisser dans les lectures, avant que les récitations (quel vilain mot ! je dirais même : quel gros mot ) ne prennent le pas sur la danse des mots qui parlent au coeur et à l'esprit, à la sensibilité et à l'imaginaire.

J'ai dans les mains ce recueil. C'est du pur bonheur. Couverture cartonnée, douce au toucher, brochée, illustrations pastel, de bulles qui suggèrent, qui donnent des pistes, qui interrogent sans donner de réponse.

Ce soir, au calme, avant que la nuit n'enveloppe de rêves l'un de mes bambins, pour que la nuit lui donne rêves et merveilles...

....

Contes en haiku 1

"Petit capuchon
noisettes et fraises des bois
rencontrent le loup"

....

Alors, ensemble, nous irons, avec notre simple galette, avec notre modeste pot de beurre, parcourir les bois, en toute innocence. Sans croire, un seul instant, que le loup rôde. Et que nous devrons y prendre garde. Le Chaperon Rouge... quel conte initiatique !

...

Ou bien...

...

Contes en haiku 2

"Grignote et grignotons
sucre et pain d'épice
une prison"

...

Et encore...

...

"Souffle le vent noir
sur la paille, le bois, la brique
et trois tire-bouchons !"

...

Bonne nuit !

28 avril 2013

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Aurélien Delsaux

l-incommensurable AURELIEN DELSAUX

L'incommensurable, Aurélien Delsaux - 2012

 

L'hiver en sa fin

 

quand tombe la dernière neige

quand viennent les premières pluies

quand le jour dans son manteau beige

travestit son regret des nuits

 

quand Orion quitte enfin son siège

quand la fumée des toits faiblit

on sent se refermer le piège

on cherche dans le vin l'oubli

 

et bien que la lumière croisse

le coeur se serre avec angoisse

comme un poing qui voudrait frapper

 

dans la vitre du temps qui passe -

la vie est le lait sous la glace

qu'un vieux félin voudrait laper

 

Aurélien Delsaux - Le cahier blanc

 

Aurélien Delsaux autoportraitsept4

Aurélien Delsaux est né en 1981, à Lyon.

Il a grandi au hameau du Bresson, à Saint Jean de Soudain (Isère). Des voyages l’ont conduit en Allemagne, en Suisse, en Belgique, en Hollande, en Pologne, en Russie, en Italie, en Grèce, en Croatie, au Liban, en Algérie. 
               Dans le cahier blanc vous trouverez au fil des jours poèmes, notes, esquisses, peintures, travaux divers - le vrac d'un atelier de travail.

Egalement homme de théâtre, Aurélien Delsaux est le fondateur de l'Arbre

On ne connaît pas encore la date de sa mort.

 

POÉTISONS


Le jeu

Poétisons ensemble...
La semaine dernière,  Anis Anne, Sido se sont jointes à moi pour faire chanter les mots. (clic sur leurs prénoms pour aller chez elles)
La règle du jeu est ici.

Plus nous serons nombreux à faire parler la poésie, plus elle restera vive, créatrice et porteuse de beauté.

 

27 juin 2013

FAITES-LE, Marek Halter

faites-le-marek halter

Le regard de Marek Halter sur l'Histoire mondiale et son rôle d'intellectuel dans cette Histoire. Le sous-titre de cet essai, "Une mémoire engagée", donne le ton dès les premières pages.

Le titre m'a fait penser au mouvement DIY, dont le but est de "produire sa propre individualité, avec d’autres et en dehors de toute aliénation". Ses origines puisent leurs sources dans l’histoire de l’humanité, s’inspirent des savoirs des populations dites primitives, ou dans les Kibboutz. 

Kibboutz... référence manifeste pour cet écrivain loquace, qui revendique sa judaïté comme une force.

Soudain nous avons croisé une patrouille allemande.
"Jude ? [Juif ?] "
...
Ma mère m'avait répété des centaines de fois : "si des soldats allemands nous arrêtent et te demandent si tu es juif, tu réponds que non."
Dans mon inconscient d'enfant, la reconnaissance de ma judaïté était évidente, essentielle. Bref je ne voyais pas plus grand danger pour moi que de n'être rien. J'ai superbement ignoré la menace mortelle que portait la question du soldat. J'ai répondu :
"Juif ? Oui, bien sûr, oui !"
Les nazis éclatèrent de rire.
"Laissez-le passer, dit le plus gradé d'entre eux, l'enfant blague ! Un Juif n'aurait jamais reconnu qu'il était juif." (pages 14 & 15)

De cette force, l'auteur va tirer un enseignement qui va guider toutes ses actions.

"Si je ne suis pas pour moi, qui pourrait bien l'être ?" À moi d'agir pour ma propre cause, le premier, si je veux de l'aide. [...] Si je sais lutter pour moi-même, je saurai le faire pour les autres, à l'inverse des belles âmes qui prétendent commencer par les autres, cherchent la solution universelle, ne la trouvent pas et s'indignent pour tromper leur impuissance. Lorsqu'ils l'inventent, stalinisme ou marxisme, c'est encore pire. (page 15)

Son texte ne se veut ni roman, ni autobiographie, ni essai philosophique.

Curieusement, c'est Alexandre Dumas, Les Trois Mosquetaires et leur célèbre "Un pour tous, tous pour un", qu'il raconte à ses compères d'enfance, petits chenapans voleurs ouzbeks, pour qu'en retour ils lui procurent de la nourriture, qui marquent la suite de son existence. C'est aussi dela violence de ces petits voyous qui n'hésitaient pas à s'affronter physiquement au moindre différend qu'il comprend que la violence commence là où s'arrête la parole (page 21)

Et c'est justement du pouvoir (et des limites) de la parole qu'il est question dans ce livre. Inlassablement Marek Halter la met en oeuvre, la porte. Il va rencontrer les plus grands de ce monde : Golda Meir, Shimon Peres, Yasser Arafat, Anouar el-Sadate, Marguerite Duras, Jean-Paul II, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Vladimir Poutine ; lutter sur tous les fronts pour un monde plus juste : Israël, Palestine, Russie, Argentine, Afghanistan...

La parole n'a pas de lieu précis ni de nationalité. Elle est ou elle n'est pas. Elle porte ou ne porte pas. (page 36)

 L'express titrait, hier : "Un livre frais et enrichissant pour l'homme vers l'homme". "Une incitation à l'action", déclare le Crif.

Oui, Marek Halter n'est pas un homme de rêve, il est d'action. Il vient de demander une audience au nouveau pape François, pour une délégation d'imams de France. Il est inlassabe, Marek !

1 juillet 2013

POUR l'AMOUR DU CHOCOLAT, José Carlos Carmona

 

Pour l'amour du chocolat

À l’origine, José Carlos Carmona avait intitulé son ouvrage « Una sinfonía concertante ». Peut-être ce titre aurait-il attiré moins de lecteurs que ceux qui ont été appâtés par sa modification éditoriale espagnole « Sabor a chocolate » et sa traduction française « Pour l’amour du chocolat ». L’alliance trompeuse, à mon avis, des mots [amour & chocolat] assigne une représentation complètement fausse à ce court, très court et excellent roman. Car ni l’amour, ni le chocolat, qui servent certes de base au déroulement de l’intrigue n’y ont place prédominante.

José Carlos Carmona est un musicien, un chef d’orchestre. Il est professeur au Conservatoire de Musique de Malaga. Et sa caractéristique principale est la pluralité accomplie de son travail qui se déploie dans la musique classique, la littérature, la philosophie, les arts scéniques, la politique contemporaine.
Ce roman, il l’a conçu comme une symphonie, en lui donnant la structure d’une œuvre musicale, en trois mouvements, allegro, adagio et presto final. Les chapitres sont très courts, les phrases directes et incisives. Le lecteur peut, au gré de son imagination, reconstruire tout ce qui « manque ». L’auteur, ici, est une sorte de sculpteur littéraire qui définirait une forme narrative particulière et laisserait place aux vaticinations diverses.

Une technique qui émet une « musique » épurée. Une syntaxe qui permet de visiter presque un siècle, de 1922 à 2001. Une structure rapide, segmentée, pleine d’évènements inattendus, ponctués, en contrepoint, par certaines tragédies historiques qui font apprécier l’atmosphère de cette époque. José Carlos Carmona pose son estrade en Suisse, peut-être parce qu’elle est restée neutre pendant les guerres et qu’elle représente sans doute un lieu adéquat pour voir ce qui se passe autour. Peut-être aussi pour le chocolat ? Peut-être... Certains de ses personnages s’y installent, d’autres ne sont que de passage. Ils vont, viennent, aiment, souffrent, vivent, meurent en cent chapitres développés de quelques lignes seulement à deux pages maximum. C’est lapidaire, compact, ramassé. Ce peut être parfois facétieux (juste un peu), c’est très souvent émouvant. Le temps passe, fuit, et le lecteur, au diapason, suit la partition qu’un écrivain-musicien conduit avec maestria.

Mon billet, je l’espère, est explicite : j’ai aimé. Plus que l’intrigue en elle-même, j’aimé le procédé narratif. José Carlos Carmona confie au journal El Pais qu’il s’est essayé à une forme d’écriture particulière ; celle d’écrivains qu’il admire : John Doe (pseudo de Régis Messac ?), Alessandro Barrico (Soie), Pascal Quignard, (Tous les matins du monde), Handkel (L’après-midi d’un écrivain), Askildsen (Dernières notes pour Thomas F.)  …

Challenge a tout prix


Ce roman a très opportunément obtenu le Prix Littéraire de l'Université de Séville. Je vais donc proposer ce titre à Laure, qui a ouvert le "Challenge À Tous Prix", pour une 5ème participation.

22 mai 2013

MARCHÉ DE LA POÉSIE - PARIS 2013 : pas d'ici, pas d'ailleurs

PAS D'ICI, PAS D'AILLEURS

Les éditions 'VOIX D'ENCRE' ont publié, en juillet 2012, une remarquable 'Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines'. 156 voix de 28 pays se mêlent dans ce bel ouvrage qui regroupe 223 textes poétiques.

L’anthologie pas d’ici, pas d’ailleurs capte le pouls poétique des femmes poètes réparties sur les vastes territoires de la francophonie, à l’aube du troisième millénaire, autour d’une thématique universelle et résolument moderne, portant l’empreinte de Julia Kristeva : l’identité et l’altérité dans les pas qui nous mènent ici et ailleurs.

(...) Certaines poètes ont choisi de mettre en avant leur ancrage linguistique ou culturel, d’autres non ; certaines ont traité de tel ou tel aspect de leur « identité », pour s’en jouer, s’en revêtir ou s’en départir, quand d’autres ont tenté de défaire cette notion ; toutes ont surtout donné à lire et à entendre des textes qui, s’ils revendiquent finalement une appartenance, est bien l’appartenance à la poésie contemporaine d’expression française, une poésie qui peut être « déconcertante » et sans concession, et qui elle aussi s’attache à déconstruire les formes, dans la « distance exquise » de son héritage. Les formes plurielles cohabitant au sein de ce recueil témoignent de la distance prise avec l’ici et le maintenant, le là-bas et l’alors, et expriment un certain étoilement du moi qui éventuellement relèverait d’une subjectivité universelle, ou universellement féminine.

(...) Plus de centre, ni de marge, un étoilement donc, qui pourrait déstabiliser ceux qui affectionnent les repères, si ce n’était que l’écriture poétique reste, comme il se doit, le pôle d’appartenance et de ralliement prévalent, comme nous l’avons dit plus haut. « Écrire, c’est ébranler le monde », disait Barthes. Nos poètes sont modernes, parfois écorchées, cosmopolites, étrangères à elles-mêmes aussi, mais pas à leur propre écriture, qui peut jaillir de l’aliénation. Les pas semés mènent à l’écriture et celle-ci se présente comme étant résolument polymorphe, reflétant bien la déconstruction annoncée par le thème.

C'est Sabine Huynh, l'une des auteures (avec Andrée Lacelle, Angèle Paoli, Aurélie Tourniaire) qui signe de cette façon la quatrième de couverture.

Marché de la poésie 2013

Si je vous propose la découverte de ce livre, c'est qu'à Paris, Place Saint Sulpice, le 7 juin, à 14 h 30, des lectures seront données d'une soixantaine de ces poèmes.

Sept périodes, sept temps, scandent l'ouvrage :

- Sous les cieux de l'errance
- Dans les flots du temps
- Au royaume des ombres
- Sur l'île de la nitescence
- Dans les contrée de l'intime
- Vers les caps de l'imaginaire
- Sous une voûte de voix et d'encre

La part belle est certes donnée aux poétesses françaises, mais on peut rencontrer les vers de voix canadiennes, belges, roumaines, tunisiennes, algériennes, suisses, marocaines, ivoiriennes, libanaises, martiniquaises, argentines, brésiliennes, syriennes, espagnoles, brunéiennes, mauriciennes, allemandes, haïtiennes, mexicaines, japonaises, congolaises, colombiennes, viétnamiennes, italiennes, monégasques, portugaises, burkinabè.

Au hasard de ces belles pages :

Partir

Ulysse en moi chevauche des marées
La mer a son visage ou peut-être le mien
L'esquif a pris au mot la lame et les embruns

Ulysse
Quelle neige s'éprend de ton doux repartir
Et sème du levant sur ce qui va finir ?

Béatrice Libert


Béatrice Libert

Née à Amay-sur-Meuse, en Wallonie, Béatrice Libert vit à Liège. Professeur de français dans le secondaire, elle est aussi bibliothécaire, critique de poésie et  animatrice en ateliers d'écriture. Elle a publié des poèmes, des essais et des nouvelles. Elle écrit aussi pour la jeunesse. Passionnée par l'art sous toutes  ses formes, elle collabore avec des artistes peintres, graveurs, photographes, musiciens, et donne des récitals en duo avec la harpiste liégeoise Angélique Giorgio.

 

En avril 2000, elle a été reçue comme "visiting professor" à l'Université de Denison, en Ohio. Elle est également correspondante pour la Belgique francophone du magazine culturel Pourtours (Marseille, Autre Temps). Elle collabore à de nombreuses revues et anthologies. Ses poèmes sont traduits en plusieurs langues.

 

 

 

25 juillet 2013

L'ENFANT CACHÉE - Loïc Dauvillier, Marc Lizano, Greg Salsedo

 

Voici trois semaines, je présentais "La petite famille". Émotion, tendresse, pudeur, générosité dans les mots et le graphisme de cet album. Un coup de coeur, vrai et sincère... Une envie de partager avec mes petits-enfants... 
Un commentaire discret de Loïc Dauvillier, pour me remercier (et pourtant, c'est moi qui le remercie !). Un échange/courriel : il me suggère "L'enfant cachée"... (du même auteur)
Bien sûr, je ne résiste pas au désir/besoin de découvrir ce titre !

l'enfant cachée

L'enfant cachée.

Une fillette qui s'aperçoit que sa grand-mère ne trouve pas le sommeil. Qui quête la parole de cette douce Mamie qu'elle aime. .
"Tu sais, quand moi je fais un cauchemar, je le raconte à Maman, et après ça va beaucoup mieux".

Le cauchemar de Mamie, voilà bien longtemps qu'il l'habite, qu'il la hante, qu'il la poursuit, qu'il la tourmente. "C'était il y a très longtemps. Mamie était encore une petite fille".

Mamie se prénomme Dounia. Elle était une petite fille quand la guerre semblait avoir cessé. Et sa victoire c'était d'avoir retrouvé son Papa vivant. Un jour funeste, pourtant, Dounia devra arborer l'étoile jaune...

L'atmosphère. Le cadre. Un sujet mille et une fois traité. Avec plus ou moins de justesse, de sensibilité, de bon goût, C'est selon. Un sujet délicat, un peu risqué quand l'on prétend, de surcroît, s'adresser à des enfants.

Un sujet complètement maîtrisé dans cet album. Pas de pathos, ni d'amphigouri. C'est clair, limpide, sans équivoque. Ça parle tout droit au coeur, à l'intelligence, au sens. Ça parle des rafles juives, du Vel d'Hiv, de la séparation, de la mort, des camps... des choses graves, dramatiques, inexcusables, tragiques de l'histoire des hommes. Et ça parle de cela avec tant de pudicité, de retenue, mais aussi tant de vérité, d'authenticité ! 

l'enfant cachée

L'image qui m'a le plus frappée, émue, touchée... la voici. Cette Maman qui s'en revient des camps... squelettique. Elle a conservé sa "figure" maternelle. Mais son corps est décharné : "Je ne savais pas comment faire. J'étais horrifiée. [...] Au début je ne l'ai pas reconnue. [...] Il m'a fallu un moment avant d'être certaine que c'était bien ma maman". 

C'est le fils de Dounia qui conclut, le papa de la fillette. Il s'adresse à Dounia, sa mère : "Je voulais simplement te dire que je suis très heureux et très fier que ce soit toi qui lui aies raconté".

Merci à Marc Lizano, à Loïc Dauvillier et à Greg Salsedo de m'avoir donné à rencontrer Dounia, son histoire et sa petite-frille.

 

15 janvier 2014

DITES-LEUR QUE JE SUIS UN HOMME . Ernest J.Gaines

Gaines Dites leur que je suis un homme

Dites-leur que je suis un homme, Ernest J. Gaines
Liana Levi, 2010, 292 pages, 10 €

 

 

 

 

 

 

 

"adieu meusieu wigin dite leur que je sui for dite leur que je sui un omme adieu meusieu wigin"... Quelques mots laborieusement écrits sur un cahier, du fond d'une cellule. Les derniers mots de Jefferson, un jeune noir de Louisianne, dans les années quarante, accusé de l'assassinat d'un blanc. Coupable ? Innocent ? Le lecteur ne le saura jamais, et d'ailleurs ça n'a guère d'importance puisque son sort est immédiatement scellé : il sera condamné à la chaise électrique par un jury de blancs qui ne lui accordera aucune indulgence.

Un avocat est commis d'office qui, pour requérir son acquittement, laisse entendre qu'il serait cruel de tuer un homme pas plus intelligent qu’un porc. En exprimant la conviction que les noirs sont des animaux, il ne fait qu’afficher ouvertement le racisme blanc de cette période de l’histoire des États-Unis. La condamnation à mort de Jefferson ne soulève aucun mouvement de protestation. Seules Miss Emma, la marraine du jeune homme et la tante de Grant, l’instituteur (noir) de la communauté, se révoltent. Pas contre le verdict, mais contre la façon dont Jefferson a été souillé et déshonoré. Les deux femmes vont confier à Grant la mission d’aider le condamné à relever la tête avant de mourir, à retrouver son humanité.

Voici un terrible et grandiose réquisitoire contre le racisme.
Mais pas seulement. C’est aussi – et surtout –  une plaidoirie vibrante sur le droit à la dignité de tout être humain. Ernest J. Gaines développe magistralement, à partir de ce qui n’était qu’un fait divers (la mort d’un noir ne méritait pas l’intérêt… mais l’imparfait est-il si approprié que cela ?) les sentiments contradictoires qui peuvent se faire jour dans l’esprit de ceux qui, pourtant, s’insurgent contre l’arbitraire et la persécution. L’instituteur, convaincu dans sa chair de la tyrannie qu’exercent les blancs sur les noirs, affirme ironiquement cependant qu’il sait que cette société coercitive ne changera jamais alors qu’il apprend aux enfants à devenir des hommes et des femmes forts malgré leur environnement. Il est dans l’incapacité d’affronter ses propres peurs. Et c’est en aidant Jefferson à trouver sa place d’homme dans une société qui ne la lui reconnaît pas, que Grant se transforme lui-même. En se battant pour le salut humain de Jefferson, en acceptant son devoir de participer à l’amélioration de la société dans laquelle il vit.

Je vais conclure par ce qui m’a servi d’introduction : "adieu meusieu wigin dite leur que je sui for dite leur que je sui un omme adieu meusieu wigin". Jefferson, en mourant « comme un homme » et non comme l’animal que les blancs voient en lui, comprend qu’il va défier la société qui l’a accusé et condamné parce qu’il a la peau noire.

Un roman émouvant, combatif, digne, militant, austère aussi qui décrit le long chemin d’un homme qui mourra la tête haute. Un roman très proche de la biographie : Grant y est sans doute l’image de Gaines.

10 octobre 2013

LA PETITE FILLE EN ROUGE . Aaron Frish & Roberto Innocenti

La_petite_fille_en_rouge_Frisch

Avec sa capeline rouge et son bonnet assorti, Sophia pourrait sans doute tout droit sortir de l'imaginaire fécond de Monsieur Perrault ou de celui des frères Grimm.
Elle n'est pas seulement vêtue de vermillon, comme sa devancière, elle a aussi, la belle enfant, une mère-grand de santé fragile à laquelle elle va rendre visite, lui apportant ... biscuits, miel et oranges. Parce que, déjà à ce moment de la narration, s'arrête le copié/collé (qui d'ailleurs n'en est pas exactement un).

"Sophia habite avec sa mère et sa soeur". Voici le lecteur entré de plain pied, dans la vie d'une famille mono parentale. Le temps est dès lors situé. Et il suffit que la fillette sorte de chez elle pour que l'espace le soit aussi : graff sur les murs d'un escalier sombre, trottoir jonché de détritus, sans logis somnolant dans une encoignure... C'est signé : nous nous trouvons délibérément dans notre siècle.

Mais l'esprit de Perrault de la fin du XXVII° siècle demeure... les auteurs restent dans le "conte d'avertissement", transposé dans la société d'aujourd'hui. La forêt du Petit Chaperon Rouge devient la cité de La Petite Fille en Rouge, une cité bruyante, agitée, effervescente, tumultueuse. Et du tumulte, il en est question dans ce superbe album au trait graphique dense, au style pictural hyper-réaliste, signé par Roberto Innocenti. "Perrault voulait faire peur, explique-t-il, moi je veux attirer l'attention des jeunes sur les ravages de l'argent et la modernité dans ce qu'elle a de plus brutal". Et pour attirer l'attention sur les dangers de la société contemporaine, les deux auteurs s'investissent complètement : le bois est un centre commercial, le loup un motocycliste vêtu de noir, le péril la consommation à outrance. "Ça va sans dire, mais ça va tout de même mieux en le disant", telle pourrait être la devise d'Aaron Frish et de Roberto Innocentini.

Conte moderne qui s'ancre dans le symbolisme des structures psychologiques fondamentales. Et qui tape juste, qui vise juste nos bambinos-rois qui sont dans le tout-maintenant, qui, sollicités, agressés à leur insu, tentés en permanence, prétendent savoir de la vie plus que nous en savons nous-mêmes. Et pourtant, petits,  "des yeux vous guettent, des narines hument l'air en quête d'une opportunité. La forêt fourmille de chacals". 
Si les chacals et les loups ne diffèrent que par leur taille, les deux sont malfaisants et, parfois, "le soleil ne parvient pas à percer les nuages" d'une maman désespérée.... Mais si, 'imaginez plutôt ceci, si vous voulez. Un bûcheron surprend un loup en train de rôder autour d'une maison. Il téléphone. La police est sur les lieux en un rien de temps... [...} Cette nuit les étoiles scintilleront sur la forêt".

Un album que les grands peuvent lire tout seuls, qu'ils peuvent lire aux plus jeunes. Un album qu'il faut à tout prix découvrir.

Merci à Jérôme, de m'avoir permis de le découvrir.

 

30 mars 2014

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Rose Ausländer

BLINDER SOMMER

Blinder Sommer / Été aveugle
Rose Ausländer
Æncrages & Co (15 juin 2010) – Voix de chants
Traduit de l’allemand par Dominique Venard

 

 

 

 

 

Le temps d’une respiration

 

Le temps d’une respiration
l’air a changé de couleur
L’herbe et les feuilles en séchant se teintent
au ciel un drapeau de paille pend

Le temps d’une respiration
une forme dans mes nerfs se glace
j’entends la silhouette d’un ange qui s’estompe

Il est temps de
construire le rêve en gris
il s’est agité s’est déjà
posé dans mes
cheveux le temps d’une respiration

Entre-temps le soleil s’est vitrifié et
fendillé je cherche à retrouver sa
forme intacte dans le Hudson mais
dans ses yeux devenus gris les
contours se sont noyés
Du nord vient une
main preste qui chasse
les gouttes vers
l’océan Atlantique
le temps d’une respiration

Rose Ausländer
Poétesse d’origine juive allemande (1901-1988)

 

BLINDER SOMMER 2

2 avril 2014

50 MINUTES AVEC TOI, Cathy Ytak

50 minutes avec toi - Cathy Ytak

50 minutes avec toi
Cathy Ytak
Actes Sud Junior - D'une seule voix (2010)
80 pages

 

 

 

 

 

 

C’est encore un enfant. Il n’a que 17 ans. Devant lui, gît son père, inconscient, peut-être mort. Huis clos.

Le jeune homme ne bouge pas ; n’appelle pas les secours. Il regarde son père. Pendant cinquante minutes. Le temps pendant lequel il va dérouler ses dix-sept années de vie.

Dix-sept années d’une violence indicible, d’une terreur sans nom. Dix-sept années d’humiliation, de vexations. Des coups aussi, anodins en apparence… une gifle par-ci, une autre par-là. Pas tout à fait dix-sept… c’est depuis ses sept ans que le narrateur subit les camouflets d’un père « bien sous tous rapports », certes strict, certes, aux yeux de son entourage, un peu exigeant. Mais l’éducation d’un enfant ne nécessite-t-elle pas que celui-ci apprenne à se soumettre à l’autorité ? Huis clos aussi, les rapports entre le père et son fils.

La mère est là. Oui. Une mère qui ne dit mot. Une mère qui ne voit pas. Qui ne peut/veut pas dire. Qui ne peut/veut pas voir. Huis clos au sein du couple parental.

Dix-sept ans. Pour complaire à son géniteur, il s’est attaché à réussir ses études. Un an d’avance en terminale. Bac en poche, mention très bien. Prêt pour une prépa. Pour de grandes études. Selon le désir paternel.

Dix-sept ans. Amoureux. De Camille. Amour partagé. Bonheur révélé : la vie n’est pas que mortification.

Amoureux d’un garçon. Camille est un garçon.

L’irascibilité du père en est décuplée.

C’est encore un enfant. Il n’a que 17 ans. Devant lui, gît son père, inconscient, peut-être mort. Le jeune homme ne bouge pas ; n’appelle pas les secours. Il regarde son père. Lui dit son amertume. Lui dit sa rancune. Et s’en va.

Retrouver Camille.

Un roman pour adolescents. Qui ne traite pas que de l’homosexualité. Qui traite aussi des interdépendances familiales. Des non-dits. Des exaspérations. Des haines. Des maltraitances. Un roman pour que beaucoup d’adolescents s’y reconnaissent. Même s’ils ne sont pas homosexuels. Même s’ils ne sont pas persécutés. Un roman qui aide à réfléchir, à devenir adulte.

26 février 2014

PROMESSES, Julia Billet

201

Promesses

Julia Billet
Éditions Le Muscadier
Collection Place du Marché (ados)
Juin 2013, 64 pages

 

 

 

 

Quatre enfants habitent ce petit recueil, quatre enfants qui découvrent l’amitié et la font vivre.

Deux nouvelles, courtes. De celles qui peuvent plaire aux lecteurs adolescents, parce qu’elles ne sont pas « prise de tête », mais qu’elles évoquent et donnent sens à quelques unes des importantes questions que l’on se pose à cet âge.

Promesse(s). De rendre pérenne une amitié d’enfants et de la conduire jusqu’à l’adultité.

Déracinement(s) aussi.

Celui de deux garçons, Ankidou et Agostino, dans la première nouvelle, éponyme. Déboussolé, Ankidou, dans la grisaille d’un pays d’accueil qui ne sait guère l’accueillir, malgré de louables efforts. Dérouté par une culture complètement étrangère à la sienne. Mutique, Agostino, qui cache dans un silence obstiné son drame familial. Ils ne parlent pas la même langue. Et pourtant. Ils vont inventer leurs propres codes de communication (qui passera même par l’oralité !) et créer un lien indestructible grâce à une promesse qu’ils honoreront chaque année, jusqu’au bout de leur vie.

Quel est ce « fil invisible » qui lie Sarah et Fred, dans le deuxième texte ? Un fil qui résistera au temps, aux aléas. Un fil si solidement tissé que les deux enfants défieront tous les périls, les incertitudes, pour construire, en union, une harmonie de vie et de passion communes.

Ces deux nouvelles m’ont ravie. Pas de prétention didactique. Un partage, pour que la capacité de penser se développe. Pour que le sens se révèle. Une petite musique qui donne envie de croire que la relation à l’autre, la vraie, celle qui tonifie ceux qui la partagent, est capitale.


Chez Flo, (clic),  c’était le mois de la nouvelle. J’ai apporté avec plaisir quelques petits galets (dans ma plaine de Bièvre, la particularité architecturale ce sont les galets « roulés », mêlés au pisé, qui ornementent les façades), quelques galets donc à la mise en lumière d’un genre littéraire pas assez estimé.

3 août 2014

EN PLEINE FIGURE, Haïkus de la guerre de 14-18

EN PLEINE FIGURE

En pleine figure, Haïkus de la guerre 14-18
Éditions Bruno Doucey (novembre 2013)
158 pages

 

C'est une anthologie de Haïkus établie par Dominique Chipot que les Éditions Bruno Doucey ont fait paraître en 2013. Dominique Chipot est l’un des grands spécialistes du haïku. Lui-même Haïjin (auteur de haïku), il a écrit plusieurs essais, techniques ou historiques, et adapté en français les haïkus japonais traduits par Makoto Kemmoku. 

Le recueil est préfacé par Jean Rouaudun auteur français né à Campbon le 13 décembre 1952. Il a reçu le Prix Goncourt en 1990 pour son premier roman : "Les Champs d'honneur", un roman qui a pour trame la guerre de 14-18.

Dans les tranchées, durant la Première Guerre mondiale, de jeunes soldats, les poilus, écrivaient des poèmes, des haïkus, de courts poèmes écrits selon l'art japonais du Haï-kaï, vifs, bouleversants, comme autant de projectiles, brisures d'espoir, de peur ou de vie.
À l'époque, ils furent publiés dans des revues, des plaquettes tirées à quelques dizaines d'exemplaires. Toute l'horreur et la fulgurance de la guerre apparaissent dans ces fragments poétiques.

Cette anthologie offre une large place à Julien Vocance (1878-1954) qui a laissé son témoignage de la guerre de 14 dans un recueil intitulé "Cent visions de guerre" (une allusion au "Trente-six vues du Mont Fuji" du graveur d'estampes japonais Hokusaï). Utilisant avec efficacité la forme poétique du haïku, Julien Vocance a su adapter des techniques poétiques venue de l'autre côté du monde pour tenir, sous la mitraille et les bombes, un journal de guerre composé d'une succession de tercets qui racontent en visions brèves les trous d'obus, le sifflement des balles, les pauvres cadavres accrochés aux barbelés.

On retrouve avec lui une quinzaine de Hajins et quelques anonymes : Jean Baucomont, Maurice Betz, Jean Breton, André Cuisenier, Henri Druart, René Druart, Roger Gilbert-Lecomte, Maurice Gobin, Marc-Adolphe Guégan, B. Hirami, René Maublanc, Albert de Neuville, Albert Poncin, Georges Sabiron, Jean-Paul Vaillant.

Soir de bataille
au loin, les canons...
Tout près, les blessés.
(Anonyme)

Tu maudis la guerre ;
Mais que sonnent les clairons
Et tu suis au pas.
(Jean Baucomont)

Nuit sereine, ciel sans nuages,
Je rengaine ma baïonnette
Et monte ma garde, lune au clair.
(Maurice Betz)

La Soeur blanche m'a regardé fixement.
Hélas, encore un :
Il va falloir écrire à la famille.
(Jean Breton)

Quand ils s'assemblent
Des absents sont là
Et des morts renaissent.
(André Cuisenier)

Côte à côte l'hiver
Deux buissons de fils barbelés ;
En mai, l'un fleurit d'aubépine.
(Henri Druart)

De Vailly à Craonne,
Le chemin des Dames
Est pavé de crânes.
(René Druart)

Les rafales crépitent.
Brusque silence.
L'appel de la perdrix !
(Maurice Gobin)

Trou d'obus où cinq cadavres
Unis par les pieds rayonnent,
Lugubre étoile de mer.
( Georges Sabiron)

Avec la terre
Leurs corps célèbrent des noces
Sanglantes.
(Julien Vocance)

Mes camarades, mes frères
Nous aurons beaucoup souffert...
Hélas ! vous vaincrez sans moi.
(Julien Vocance)

 

7 juin 2014

LES (29) PLUMES D'ASPHODÈLE : Les mots de la sagesse

Rue de la Sagesse

 

C’était une demoiselle de petite vertu.
Point trop n’avait sagesse.
Aux passants offrait sa fesse
Qu’elle avait joliment goûtue.

Avait la chair gracile.
La lippe grenadine,
Avait la faim aux dents.
Était pas difficile
La petite gourgandine,
Même avec les pédants.

Cherchait pas la richesse,
C’était pas de son âge.
Cherchait pas l’opulence,
C’est bon pour la vieillesse.
Y’avait que d’l’abattage
Et d’la grande affluence.

C’était une demoiselle de petite vertu.
Point trop n’avait sagesse.
Aux passants offrait sa fesse
Qu’elle avait joliment goûtue.

Avait pas d’vanité,
Avait pas d’réflexion
Savait pas refuser.
Rien que spontanéité,
Point de circonspection,
Même pas désabusée.

Un soir, au crépuscule
Sous la lune à attendre
Trouva sérénité
Auprès d’un homoncule
Qui voulait la surprendre
En toute gratuité.

C’était une demoiselle de petite vertu.
Point trop n’avait sagesse.
Aux passants offrait sa fesse
Qu’elle avait joliment goûtue.

Oyant sa philosophie,
La gouaille elle en perdit,
Le doute la remplit.
« Reluque pas mon atrophie.
Je n’suis pas si engourdi
Que le fait croire ma panoplie.

Ta paix, je vais la graver
Comme l’image de ton corps,
Déclara le nabot.
Je vais t’enjoliver.
Tu n’es qu’une pécore
Mais pour te peindre, nul besoin d’escabeau ».

C’était une demoiselle de petite vertu.
Point trop n’avait sagesse.
Aux passants offrait sa fesse
Qu’elle avait joliment goûtue.

 

toulouse-lautrec-dessin-1

Martine Litter'auteurs - 2014/06/04

En mémoire d'Henri Toulouse-Lautrec (1864-1901)

Ci-contreFemme enfilant son bas (1894). Henri Marie Raymond de Toulouse-Lautrec-Monfa

 

 

 

 

 

 

 

ASPHODELE

Écrit grâce aux mots récoltés par Asphodèle, sur le thème de la SAGESSE (son blog est ici). fesse, attendre, richesse, dent, refuser, doute, vieillesse, circonspection, vertu, crépuscule, lune, philosophie, âge, vanité, sérénité, psalmiste, paix, image, réflexion, graver, gracile, grenadine. 

(Je ne suis pas certaine que Toulouse-Lautrec aurait apprécié pour lui le qualificatif de psalmiste).

22 septembre 2014

LA PORTE DES ENFERS - Laurent Gaudé

LA PORTE DES ENFERS - Laurent Gaudé

La porte des enfers
Laurent Gaudé
Acte Sud (Babel) - 29 mai 2010
Poche, 266 pages

 

Ainsi le Paradis n’existerait pas pour nos défunts, même les plus vertueux ? Ainsi, tous, emmenant avec eux une partie de nous, seraient inéluctablement condamnés à affronter de terribles épreuves souterraines, avant que l’oubli terrestre ne les engloutisse dans la mort ultime ?

C’est la thèse que Laurent Gaudé défend dans ce somptueux roman. Et cette thèse m’a conduite dans une réflexion profonde et intime sur le rapport que nous pouvons avoir avec la perte et le deuil.

Naples. La mort violente d’un enfant de six ans, tué d’une balle perdue au cours d’un règlement de compte mafieux, fait basculer la vie de ses parents. Un tel sujet aurait pu faire verser le texte dans un mélo poisseux et larmoyant, où il aurait pu être question de vengeance, d’incommensurable affliction, de prostration hébétée. Ces thématiques, omniprésentes, Laurent Gaudé les prend à contre-pied et leur donne une amplitude symbolique « Extra-Ordinaire ». Hors du rationnel, et pourtant si proche des bouleversements qu’impose un tel déchirement.

S’inspirant du mythe d’Orphée, le romancier emmène le père jusqu’au lieu où erre l’ombre de son enfant. Dans « les enfers », et non dans « l’enfer » embrasé de notre traditionnelle théosophie. Dans un lieu où les ombres des morts, avant leur évanouissement suprême, vaguent de salles en salles, implorant que le souvenir des vivants les maintiennent hors de la dissolution absolue.

Une thèse sur la perte et le deuil ; une thèse sur la mémoration, aussi.

Les personnages de ce roman sont un compendium de l’existence : un père, une mère, un enfant, un prêtre réprouvé par les Hautes Autorités Ecclésiastiques, un « professore » homosexuel à la limite de la pédophilie, un travesti extravagant et empathique, un tenancier de bar un peu sorcier…

Une seule femme, la mère. Synthèse du don de la vie et de la faculté d’oubli. Son rôle m’a quelque peu étonnée, d’ailleurs. Lorsqu’elle décide – choisit – d’oublier. D’oublier son enfant, d’oublier sa propre vie, de s’oublier. Surprise que Laurent Gaudé ne lui ai pas attribué le statut de gardienne de la mémoire de son fils. Après avoir exigé de son mari qu’il venge la mort de leur enfant ou qu’il le lui ramène, après avoir constaté qu’il ne peut accéder à sa demande, après avoir lancé sa malédiction, elle partira sur le chemin de l’oubli, du déni, du reniement et de la renonciation.

Le rôle des hommes de ce roman est prééminent : au fil du roman, ils s’élèvent en puissance au-dessus de ce et ceux qui les entourent. Le père, personnage central, porte le souvenir de son enfant dans la culpabilité : il a besoin de rédemption, il a besoin de participer au salut des mânes de son fils par l’expiation. Ses compagnons de quête, des silhouettes de l’ombre : le succédané d’une société anonyme, clandestine, androgyne.

Jamais je n’aurais lu ce fantastique ouvrage si Isabelle (son blog est ici) ne me l’avait offert pour mon anniversaire. Ni le titre, ni le thème, ni la couverture ne m’auraient engagée ne serait-ce qu’à le feuilleter. Je la remercie d’avoir forcé ma porte, de m’avoir emmenée sur les rives du Styx, et de m’avoir permis d’en revenir, fortifiée.

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