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Littér'auteurs
15 janvier 2014

DITES-LEUR QUE JE SUIS UN HOMME . Ernest J.Gaines

Gaines Dites leur que je suis un homme

Dites-leur que je suis un homme, Ernest J. Gaines
Liana Levi, 2010, 292 pages, 10 €

 

 

 

 

 

 

 

"adieu meusieu wigin dite leur que je sui for dite leur que je sui un omme adieu meusieu wigin"... Quelques mots laborieusement écrits sur un cahier, du fond d'une cellule. Les derniers mots de Jefferson, un jeune noir de Louisianne, dans les années quarante, accusé de l'assassinat d'un blanc. Coupable ? Innocent ? Le lecteur ne le saura jamais, et d'ailleurs ça n'a guère d'importance puisque son sort est immédiatement scellé : il sera condamné à la chaise électrique par un jury de blancs qui ne lui accordera aucune indulgence.

Un avocat est commis d'office qui, pour requérir son acquittement, laisse entendre qu'il serait cruel de tuer un homme pas plus intelligent qu’un porc. En exprimant la conviction que les noirs sont des animaux, il ne fait qu’afficher ouvertement le racisme blanc de cette période de l’histoire des États-Unis. La condamnation à mort de Jefferson ne soulève aucun mouvement de protestation. Seules Miss Emma, la marraine du jeune homme et la tante de Grant, l’instituteur (noir) de la communauté, se révoltent. Pas contre le verdict, mais contre la façon dont Jefferson a été souillé et déshonoré. Les deux femmes vont confier à Grant la mission d’aider le condamné à relever la tête avant de mourir, à retrouver son humanité.

Voici un terrible et grandiose réquisitoire contre le racisme.
Mais pas seulement. C’est aussi – et surtout –  une plaidoirie vibrante sur le droit à la dignité de tout être humain. Ernest J. Gaines développe magistralement, à partir de ce qui n’était qu’un fait divers (la mort d’un noir ne méritait pas l’intérêt… mais l’imparfait est-il si approprié que cela ?) les sentiments contradictoires qui peuvent se faire jour dans l’esprit de ceux qui, pourtant, s’insurgent contre l’arbitraire et la persécution. L’instituteur, convaincu dans sa chair de la tyrannie qu’exercent les blancs sur les noirs, affirme ironiquement cependant qu’il sait que cette société coercitive ne changera jamais alors qu’il apprend aux enfants à devenir des hommes et des femmes forts malgré leur environnement. Il est dans l’incapacité d’affronter ses propres peurs. Et c’est en aidant Jefferson à trouver sa place d’homme dans une société qui ne la lui reconnaît pas, que Grant se transforme lui-même. En se battant pour le salut humain de Jefferson, en acceptant son devoir de participer à l’amélioration de la société dans laquelle il vit.

Je vais conclure par ce qui m’a servi d’introduction : "adieu meusieu wigin dite leur que je sui for dite leur que je sui un omme adieu meusieu wigin". Jefferson, en mourant « comme un homme » et non comme l’animal que les blancs voient en lui, comprend qu’il va défier la société qui l’a accusé et condamné parce qu’il a la peau noire.

Un roman émouvant, combatif, digne, militant, austère aussi qui décrit le long chemin d’un homme qui mourra la tête haute. Un roman très proche de la biographie : Grant y est sans doute l’image de Gaines.

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Commentaires
V
J'en ai étudié un extrait cette année avec mes terminales. Une élève a tout de suite souhaité le lire. C'est vraiment un superbe texte et j'ai hâte de continuer à découvrir cet auteur.
J
Mon Dieu que j'aime ce roman ! Les 50 dernières pages sont tout simplement bouleversantes, belles et tragiques, d'une fabuleuse intensité dramatique. Je suis tellement content que tu l'aies lu !!!!!!
M
Ah, tu as rencontré Gaines ! Chaque lecture a été marquante. Son roman choral " Colère en Louisiane " est magistral ( d'autres aussi mais c'est toujours à celui-ci que je pense en premier )
K
Tout comme Anne je suis touchée par ton billet. Il faut que je lise cet auteur !
A
Merci pour ce magnifique billet... Je n'ai pas encore découvert cet auteur, j'espère que cela ne tardera pas...
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