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Littér'auteurs
12 janvier 2014

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Maram al-Masri

par-la-fontaine-de-ma-bouche

Par la fontaine de ma bouche, Maram al-Masri

Éditions Bruno Doucey, 2011, 80 pages, 12 €

 

 

 

 

 

 

 

Le fracas des âmes ne parvient pas
à l'oreille du gardien des flammes

il se brise sur la vitre qui nous sépare
nous emprisonne dans le visible

la plainte des colombes ne parvient pas aux cavités
mais s'évanouit dans le silence de l'espace

nulle couleur pour la souffrance
nulle couleur pour l'espérance

le ciel absorbe les prières comme un ventre de femme
comme un téléphone public dans un quartier bruyant

une voix gémit
se balance sur une corde fragile
ni les saints ni les anges ne l'entendent
pas plus que les chiens
assoupis au seuil des étables
protégeant les loups de la chair des agneaux

Maram al-Masri, Signe 24

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13 octobre 2013

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Nelly Roffé

L'ÂME DES MOTS

 

Elle ferma les yeux,
ses paupières comme un rideau baissé
entre elle et lui.

Il lui fallait écrire ce silence-là,
labourer le champ d'énigmes
avec son encre
et arpenter les sillons
comme autant de passages à lui.

Elle voulait saisir en elle
ce temps d'aller-retour
entre le lointain et le proche,
ce col, cette gorge, cette voie
ce détroit
cette trouée.

Il lui fallait cet espace mitoyen
entre le point de départ
et son lieu d'arrivée.

*******************

Nelly Roffé

Nelly Roffé est née au Maroc dans une famille sépharade. Diplômée de l’Université de Montréal en Littérature comparée, elle s’intéresse à la littérature francophone nord-africaine et donne des conférences dans différentes universités sur la femme dans le roman magrébin, ou la problématique du ghetto dans le roman juif nord-africain des années 50.
Elle a donné une conférence sur Primo Levi, poète, la poésie et l’exil et le tango et les camps de concentration.
La littérature pour enfants et pour adolescents est le domaine qu’elle privilégie.

 

4 août 2013

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Juan Gelman, L'opération d'amour

"Chez cet homme dont on a décimé la famille, qui a vu mourir ou disparaître ses amis les plus chers, nul n'a pu tuer la volonté de dépasser cette somme d'horreurs en un choc en retour affirmatif et créateur de vie nouvelle. Peut-être le plus admirable de sa poésie est-il cette presque inconcevable tendresse là où serait beaucoup plus justifié le paroxysme du refus et de la dénonciation..."

C'est ainsi que Julio Cortázar préface le recueil de poésie de Juan Gelman, né à Buenos Aires en 1930, reconnu comme l'un des plus grands poètes argentins de notre époque. Fils d'immigrés juifs ukrainiens. La dictature argentine lui enlève ses deux enfants, pendant qu'il s'est exilé, ils font partie des "disparus", ceux dont parle Elsa Osorio dans Luz ou le temps sauvage, Il n'a jamais revu sa belle-fille, alors enceinte, ni son fils. L'enfant du couple, une fillette, adoptée par un couple d'Urugayens, sera retrouvée, et reconnue par test ADN, en 2000.

L'oeuvre de Juan Gelman a été consacrée par de nombreux prix : en 1980, prix international de poésie. En 1986, prix Boris Vian. Prix Pablo Neruda, en 2005. Prix antilope du Tibet (Chine Association des poètes), en 2009.... parmi une trentaine de distinctions.

Juan Gelman l'opération d'amour

 

Alors, voilà Juan Gelman, dans deux extraits de' son recueil "L'opération d'amour", éditée chez Gallimard, en 2006, traduite par Jacques Ancet.

commentaire XIX

racontant notre obscurité on voit
clairement la vie / l'odeur de terre humide
qui monte de ta main / là où
je sème mon coeur sans attendre

d'arbre ou de récompense / mais
la fête de la rencontre ou l'enfance
qui va du sang au sang / ou la lumière
qui devrait monter de

chanteurs ambulants abîmés
dans ton prodige ou main posée
comme chaleur sur la terre / ou soleil
qui monte dans la ville

sur des animaux battus /
des souffrances / des peines /
qui tremblent silencieux
contre le reste du monde

***************************

commentaire XX

on a pris un homme et on a dit
qu'il soit chassé de toi mais sans mourir / on a
levé le coeur de cet homme on l'a jeté
comme le monde ou la douleur

et il a brûlé un moment
s'est éteint n'a pas ressuscité comme un petit chien /
il n'a pas remué la queue après 
son combat contre la nuit / ni n'a levé le visage /

ni dit adieu / ni été vert /
ni rien écrit dans l'air /
ni n'a éclaté comme un arbre /
ni n'a été changé en ambre / non /

ni n'a fait un peu d'ombre / n'a eu sur lui d'herbe /
ni un os à jouer de la flûte / et
la seule musique qu'il a faite
c'est sa tristesse crépitante /

tristesse grande comme un animal /
comme ton absence / comme un ciel
où les oiseaux passaient
tremblants sous le soleil

 L'Argentine sera le pays invité au Salon du livre 2014 (clic)

28 juillet 2013

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Maram al-Masri

Signe 15

Joueuse
je m'entête à jouer au hasard
je joue avec les mêmes lettres
et à chaque fois je me mets moi-même
en gage

sans tricherie
je mets en jeu des matières vivantes

obstinée
je m'accroche à la poésie

comment puis-je la saisir sans la faire mienne
comment voir ses signes
sans me prosterner
devant cette légère
                        soudaine
                                           difficile

                                                         belle ?

Maram al-Masri, Par la fontaine de ma bouche, Éditions Bruno Doucey

14 juillet 2013

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Léo Ferré

Miss-tic-Léo-ferré-Résidence-universitaire-orly

Le poète est parti, il y a 20 ans aujourd'hui. Mourir un 14 juillet... le comble pour celui qui se revendiquait anarchiste ! Léo Ferré c'était bien plus que cette "grande gueule" à vif ; c'était un homme de mots, de notes, de gestes, de tendresses, de flammes, de colères. D'outrances, certes, qui irritaient bon nombre de ses contemporains. D'engagements, aussi, qui séduisaient les indignés de sa génération.C'était un grandiloquent timide, un bavard silencieux. 

Léo n'était pas non plus que le chanteur qui interprétait les superbes prosodies que ses émotions lui inspiraient. Léo, c'était aussi un pianiste qui a dirigé avec brio et générosité plusieurs orchestres symphoniques. Léo, c'était aussi celui qui mettait en musique Apollinaire, Aragon, Verlaine, Beaudelaire, Angiolieri, Rutebeuf, Villon, Caussimon, Lautréamont, Rimbaud. Léo, c'était encore un génial touche à tout, qui s'est essayé à la composition d'un opéra, d'un oratorio, d'un ballet, d'une musique de film.

Ferré, c'était même un écrivain : récit d'enfance, littérature épistolaire, essai, portrait, théâtre.

Miss Tic lui a ici rendu hommage en réalisant deux fresques sur les murs de la résidence d’étudiants Léo-Ferré, à Orly.

Léo Ferré, c'était...

La solitude

 

léo ferré 2

Je suis d´un autre pays que le vôtre, d´une autre quartier, d´une autre solitude.
Je m´invente aujourd´hui des chemins de traverse. Je ne suis plus de chez vous.
J´attends des mutants.

Biologiquement, je m´arrange avec l´idée que je me fais de la biologie : je pisse,
j´éjacule, je pleure.

Il est de toute première instance que nous façonnions nos idées comme s´il s´agissait d´objets manufacturés.
Je suis prêt à vous procurer les moules. Mais...
La solitude...
La solitude...

Les moules sont d´une texture nouvelle, je vous avertis. Ils ont été coulés demain matin.
Si vous n´avez pas, dès ce jour, le sentiment relatif de votre durée, il est inutile de vous transmettre, il est inutile de regarder devant vous car devant c´est derrière, la nuit c´est le jour. Et...
La solitude...
La solitude...
La solitude...

Il est de toute première instance que les laveries automatiques, au coin des rues, soient aussi imperturbables que les feux d´arrêt ou de voie libre.
Les flics du détersif vous indiqueront la case où il vous sera loisible de laver ce que vous croyez être votre conscience et qui n´est qu´une dépendance de l´ordinateur neurophile qui vous sert de cerveau. Et pourtant...
La solitude...
La solitude!

Le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous l´appellerons "bonheur", les mots que vous employez n´étant plus "les mots" mais une sorte de conduit à travers lequel les analphabètes se font bonne conscience. Mais...
La solitude...
La solitude...
La solitude, la solitude, la solitude...
La solitude!

Le Code Civil, nous en parlerons plus tard. Pour le moment, je voudrais codifier l´incodifiable. Je voudrais mesurer vos danaïdes démocraties. Je voudrais m´insérer dans le vide absolu et devenir le non-dit, le non-avenu, le non-vierge par manque de lucidité.
La lucidité se tient dans mon froc!
Dans mon froc!

 

Léo Ferré, c'était...

 

léo ferré 1

Je t'aime tant

Mon sombre amour d'orange amère
Ma chanson d'écluse et de vent
Mon quartier d'ombre où vient rêvant
Mourir la mer
Mon beau mois d'août dont le ciel pleut
Des étoiles sur les monts calmes
Ma songerie aux murs de palme
Où l'air est bleu
Mes bras d'or mes faibles merveilles
Renaissent ma soif et ma faim
Collier collier des soirs sans fin
Où le coeur veille
Est-ce que qu'on sait ce que se passe
C'est peut-être bien ce tantôt
Que l'on jettera le manteau
Dessus ma face
Coupez ma gorge et les pivoines
Vite apportez mon vin mon sang
Pour lui plaire comme en passant
Font les avoines
Il me reste si peu de temps
Pour aller au bout de moi-même
Et pour crier Dieu que je t'aime
Je t'aime tant, je t'aime tant
Léo Ferré, c'était ...
Il n'aurait fallu

léo ferré 3

Il n'aurait fallu
Qu'un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue
Alors est venue
Qui a pris la mienne
Qui donc a rendu
Leurs couleurs perdues
Aux jours aux semaines
Sa réalité
A l'immense été
Des choses humaines
Moi qui frémissais
Toujours je ne sais
De quelle colère
Deux bras ont suffi
Pour faire à ma vie
Un grand collier d'air
Rien qu'un mouvement
Ce geste en dormant
Léger qui me frôle
Un souffle posé
Moins une rosée
Contre mon épaule
Un front qui s'appuie
A moi dans la nuit
Deux grands yeux ouverts
Et tout m'a semblé
Comme un champ de blé
Dans cet univers
Un tendre jardin
Dans l'herbe où soudain
La verveine pousse
Et mon coeur défunt
Renaît au parfum 
Qui fait l'ombre douce
Il n'aurait fallu
Qu'un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue
Alors est venue
Qui a pris la mienne



 

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30 juin 2013

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Jacqueline Persini Panorias

 

Quand les pierres assassines
écrasent les ventres, les fronts
quand la nuit n'abreuve plus que
échirures et déraison

la séve s'essouffle
à faire grimpette
pour cueillir des paroles
de luzerne colza

Mais elle ne lâche pas
la tige frêle des voix
lui donne des grains libres
qui se mettent en ligne
pour traverser le pire.

Jacqueline Persini Panorias, Contre l'humain il est des crimes, L'Harmattan, coll."Accent Tonique-Poésie", 2011.


Née le 22 mars 1944 à Marseille. Vit à Paris. Exerce la psychanalyse depuis une trentaine d’années. Elle tente d’allier poésie et psychanalyse. Dans un centre médico-psychologique, elle a effectué des ateliers d'écriture avec des enfants et des adolescents en difficulté et poursuit cette pratique en bibliothèques et centres de loisirs.
Ses trois premiers livres publiés par L’Harmattan sont issus d’une nécessité autobiographique. Dans le troisième « Herbes vivantes » elle tente de communiquer sa pratique de psychanalyste sans théorie mais avec des poèmes qui alternent avec des vignettes cliniques. 
Diplôme de psychologie clinique. DEA de littérature.
Elle participe au comité de rédaction de la revue Poésie première. Responsable de la rubrique Poésie jeunesse, elle donne la parole à des poètes et à des éditeurs afin que la poésie jeunesse ne soit plus considérée comme sous poésie mais comme poésie.

 

POÉTISONS


Le jeu

Poétisons ensemble...

La règle du jeu est ici.

Plus nous serons nombreux à faire parler la poésie, plus elle restera vive, créatrice et porteuse de beauté.

La semaine darnière, AnisAnne  ont poétisé avec moi. À vous les mots !

23 juin 2013

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Maram al-Masri

maram al-masri marché de la poésie 2013

Née à Lattaquié en Syrie, Maram al-Masri ((مرام المصري) est une poétesse "Franco-Syrienne" (comme elle l'indique sur sa carte de visite).
Elle s’est installée à Paris en 1982 après des études en littérature anglaise à Damas. Actuellement elle se consacre exclusivement à l’écriture, à la poésie et à la traduction. Aujourd’hui elle est considérée comme l’une des voix féminines les plus connues et les plus captivantes de sa génération.

Outre les nombreux poèmes parus dans des revues littéraires, plusieurs anthologies en arabe et les anthologies internationales traduites, elle a publié plusieurs recueils de poèmes. Jusqu’à présent, son oeuvre a été traduite en huit langues.

Maram al-Masri a participé à de nombreux festivals internationaux de la poésie en France (Corte, Bastia, Lodève, Biarritz, Nantes, Strasbourg, Toulouse, Lille, Arras, Béthune, Rennes) et à l’étranger (Buenos Aires, Cordoue, Murcie, Grenade, Lieda, Cadix, Dublin, Galway, Hambourg, Cologne, Londres, Bruxelles, Bruges, Amsterdam, Cologne, Zurich, Munich, Luxembourg, Gênes, Turin, Rome, Pistoia, Trieste, Vérone, Ravenne, Spello, Sienne, Alba, Senigallia, Reggio de Calabre, Catane, Sardaigne, Sicile, Stockholm, Copenhague, Struga, Istanbul, Rabat, Tunis, Le Caire, Damas, Alep, Koweït, San Francisco, Mexique, Trois-Rivières, Algérie, etc.).

Et elle était présente, au marché de la poésie de Paris-2013, sur le stand des Édiions Bruno Doucey qui publient ses poésies dans leur collection "L'autre langue".  C'est une DAME impétueuse, bouillonnante, pétulante, tourbillonnante, qui produit un sentiment de générosité, d'audace et de beauté, de sensualité.

Maram-Al-Masri-par la fontaine de ma bouche

Je présente aujourd'hui l'un de ses recueils de poésie paru en mars 2011 : Par la fontaine de ma bouche
"On se retrouve poitrine contre poitrine, ventre contre ventre. On s’approche, on se mêle, on s’enroule, jusqu’à la jouissance. À première vue, les poèmes sensuels de Maram al-Masri semblent évoquer la valse qui entraîne deux êtres épris l’un de l’autre, l’ivresse du désir, la frénésie des corps. Et si cette belle voix venue de Syrie nous parlait d’autre chose ? Si le corps à corps était aussi celui qu’elle entretient avec la poésie ? Avec des mots simples, dans les deux langues qu’elle affectionne, l’arabe et le français, une femme libre fait l’amour aux mots. Pour elle, l’écriture est une eau qui coule de la fontaine à la bouche",  écrit son éditeur Bruno Doucey.

 

Voici trois poèmes, extraits de ce somptueux recueil, qu'elle a écrit en arabe (Syrie) et traduit elle-même en français.

Ma bouche
pleine de paroles gelées
est une prison
de tempêtes retenues

ma bouche
est chanson d'Ishtar
et contes de Shéhérazade

ma bouche
est le gémissement silencieux d'une plainte

ma bouche est une fontaine coulant de plaisir
le cantique
du coeur

et de la chair

********************

Je tisse
avec le fil du temps
l'histoire du rêve et la mémoire de l'attente
maille
mot
mot
maille
je fais patienter la douleur du manque
et l'aviité du corps
j'écoute le récit de mes gazelles et de mes oiseaux
je n'entends pas les tempêtes souffler à l'extérieur
je ne vois pas la neige endormie
dans mon lit

Moi
qui offre
mes entrailles au printemps
et qui fait naître
de mes doigts
l'arc-en-ciel

*******************

Je me fonds dans toutes les femmes
m'efface pour devenir chacune d'elles

je vois mon regard dans celle-ci
mon sourire sur les lèvres de celle-là
mes larmes dans leurs yeux
et dans leur corps circule mon âme

elles me ressemblent et je leur ressemble
je me reconnais en elles
en elles

je m'accomplis

et me divise

********************

POÉTISONS

Le jeu

Poétisons ensemble...

La règle du jeu est ici.

Plus nous serons nombreux à faire parler la poésie, plus elle restera vive, créatrice et porteuse de beauté.

La semaine darnière, Anis, Anne et Laurence ont poétisé avec moi. À vous les mots !

 

16 juin 2013

LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Anne Bihan

Au marché de la poésie, j'ai fait de belles rencontres. Celle d'Anne Bihan, notamment. Je tournais et retournais devant le stand des Éditions Doucey, aux tentations plurielles, je prenais un livre, le feuilletais, le reposais, m'absorbais dans un autre recueil, revenais au premier... et voyais croître ma pile d'achats. Un ouvrage à la couverture bleu océan appelais mon regard et attirais mes mains. Je me suis finalement décidée à l'ajouter à l'amoncellement, quand j'ai entendu un "oh merci" qui m'a fait lever les yeux sur une très discrète dame : Anne Bihan ! 

Poète et dramaturge, Anne Bihan vit en Nouvelle-Calédonie après une enfance passée en Bretagne, entre fleuve et océan, Loire et Atlantique dont elle arpente les îles : Arz, Hoëdic, Houat, plus tard Bréhat… Puis ce sera Saint-Nazaire, ville portègne et ouvrière, et Douarnenez – Douar-an-Enez, la terre de l’île –. Avant Houaïlou, sur la côte Est de la Nouvelle-Calédonie, et Nouméa où elle réside aujourd’hui. Et quand elle parle de ses deux attaches, la Bretagne et la Nouvelle-Calédonie, l'émotion est manifeste. Anne Bihan, c'est de la douceur, de l'humilité, de la délicatesse.Je la remercie pour la belle dédicace qu'elle m'a offerte.

Douarnenez Eugène Boudin

Eugène Boudin - Douarnenez, la baie vue de l'île de Tristan - 1897

 

Deux ciels s'épousent à la césure des mers

de l'un je reconnais la langue goémonière
de l'autre les voix ouvertes à qui suit ses chemins

de l'un les pierres debout les nuits de grande lune
de l'autre les vallées qui puisent dans la chaîne

de l'un ce fleuve cette île le vent fort ce matin
la pâque du clocher qui sonna pour les miens
le père parti trop tôt la mère dans la violence
d'un novembre d'orage
le chant d'un coquelicot tremblant sur son corsage

de l'autre ce Noël flamboyant de soleil
d'amour de joie têtue d'étreintes enfantines
cette petite fille surgie sous ses ombrages
riant sous le manguier
où ses frères jouent à vivre dans d'autres paysages

il est des monnaies-plumes
des monnaies-coquillages
papillons notos et passereaux
dents poils de roussette et sapi-sapi
cauris couteaux fibres de cocos

deux pays s'étreignent là où je m'assemble
ce cahier est sans retour.

Anne Bihan - Extrait de ' Ton ventre est l'océan ' - Éditions Bruno Doucey - 2011

Anne Bihan

 

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15 juin 2013

BALBUCIENDO, Michèle Finck

Babelio, avec son opération 'Masse Critique', m'a offert l'opportunité de découvrir ce recueil poétique d'une auteure qui, après avoir publié son premier ouvrage 'L'ouïe éblouie ' chez Voix d'encre (2007), fait paraître 'Balbuciendo ' chez Arfuyen (2012).

balbuciendo

Je n'avais jamais rien lu de Michèle Finck. C'est dire que mon intérêt était grand ! Le titre 'Balbuciendo', lui aussi, avait retenu mon attention : balbucir (zézayer), murmurar (murmurer), susurrar (chuchoter)... mais aussi tartajear (bégayer), mascullar (maugréer),  Et troisième atout, non négligeable, il s'agit de poésie.

Balbuciendo comporte trois parties : "Sur la lame de l'adieu", "Tryptiques pour le père mort", "Scansion du noir".

Les deux premiers vers donnent le ton :

La mémoire fond lentement dans la bouche.
Vouloir la vomir et grimper hors du crâne.

La langue est âpre, les émotions taillées au cordeau. Michèle Finck transmet sa parole de deux deuils non aboutis, deux pertes non cicatrisées : celle de "son amant fou", comme elle le nomme et celle de son père.

Il neige sur les magnolias de la mémoire
Et les souvenirs lugent dans le ciel.

D'où cette larme sur le visage de mon père
Mort ? Les morts peuvent-ils encore
Pleurer ? Mais non c'est moi qui pleure
De ne les avoir pas assez aimés
Mon amant fou mon père mort

Il saigne sur les barbelés de la mémoire
Et les souvenirs sont cognées de cris.

Ritournelle de la mal aimante, in Balbuciendo - Michèle Finck - Arfuyen 2012

La douleur de l'auteur est si palpable qu'elle étreint le regard et la pensée à la lecture de ses vers.
Pas d'apaisement dans le dire, pas de consolation dans l'écrire. Pas de libération.
No murmurando, no susurrando... C'est un cri ! une plainte !
Sa détresse est exacerbée, ses mots l'intensifient. Elle vit la perte, les pertes, avec culpabilité, comme une antienne.
Psalmodie.
La violence et le paradoxe des sentiments vrillent les mots.

L'amour et l'échec de l'amour s'arc-boutent
Et s'affrontent sourds crâne contre crâne fêlés.
Lorsqu'ils se heurtent et s'entre-dévorent à coups de crocs
L'amour pousse un cri de moelle arraché à l'os.
Les sons les plus silencieux de ta chair chantent
Dans la mienne et pourtant l'échec de l'amour
Déchiquette l'amour avec sa gueule de forcené.

L'oeil de la solitude brûle dans le ventre
À l'endroit du nombril. La pupille braille.
Le papillon de la douleur se pose sur les paupières
Et les bénit peut-être. L'amour et l'échec de l'amour
S'endorment l'un dans l'autre en tenant un couteau de larmes.

Lutte, in Balbuciendo - Michèle Finck - Arfuyen 2012

 

 

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2 juin 2013

MARCHÉ DE LA POÉSIE - PARIS 2013 ; Maria Desmée

Maria-Desmee

Maria Desmée est née en Roumanie. Elle s’est établie en France en 1985, et se dédie particulièrement à la création plastique. Sa peinture s’expose à travers le monde (Europe, États-Unis, Chine). Artiste-graveure, elle est aussi éditrice de livres d’artiste, passage obligé pour celle qui manie la métaphore picturale et poétique. Rédactrice et cofondatrice de la revue Sapriphage (1986-2001), En 2010, elle publie son premier recueil, Festins de lumière, éd. Corps-Puce. Diagonale du désir, couplant poèmes et peintures, est paru aux éditions mazette en avril 2012.

"Depuis longtemps, la plasticienne Maria Desmée œuvre dans la proximité des poètes, une proximité qui a donné lieu déjà à plusieurs ouvrages réalisés en compagnie, pour n’en citer que quelques uns, des poètes Werner Lambersy, Vénus Khoury-Ghata, Bernard Noël, Jean-Pierre Verheggen ou Parviz Khazraï. Festins de lumière apparaît comme le premier livre où l’artiste opère une fusion entre peinture et poésie, proposant ses propres poèmes en résonance à son travail plastique, présent ici par six reproductions couleur. L’entreprise est osée. Elle balaie cependant cette frustration que peut ressentir quiconque regarde un tableau abstrait, cherchant à le revêtir de mots. Qui, mieux que le peintre lui-même, est à même de commenter son œuvre, fusse poétiquement ? Festins de lumière réussit pleinement cette symbiose. Langue et pinceau participent d’un même désir de lumière, à travers le travail continu de métamorphose des éléments. Le foyer ici, c’est celui de la création, qui mêle braises, sève, rayons solaires à l’éruption des sens. « Tout est là », écrit Maria Desmée. Tout prend corps du désir, comme dans ces mélanges de couleurs commandés par des gestes pulsionnels qu’on sent libératoires. Il y a là la chaleur d’une forge insufflant la vie aux formes. Curieusement, les vers de Maria Desmée sont très descriptifs, porteurs d’images figuratives venues étayer ses peintures abstraites : «  Le jour s’incline en révérence / un crépuscule s’affirme souverain / il embrase le ciel / d’un ballet de couleurs. » Festins de lumière distille un lyrisme communicatif. Tenant le livre en main, il s’en dégage une chaleur productrice d’énergie. Et c’est revigorant." 
Extrait lu chez Poezibao (ici)

Marché de la poésie 2013

Maria Desmée sera présente au Marché de la Poésie
du  jeudi 6 au dimanche 9 juin.
Le programme ICI

 

 

 

Il y a toujours une frange
où ici et ailleurs n'en font qu'un
le bord d'une falaise
le bord d'un océan
comme le bord de la langue
où le territoire des non-dits échoue.

Il y a le mur qui commence
un espoir en exergue

Il y a le moi qui oublie le je
qui joue avec moi au bord de la faille
où la ligne qui nous sépare nous unit

Être nous dispense de tout
même de nous-mêmes.

Dans le précipice de la nuit
se racontent les rêves des étoiles

Dans l'immensité du désir
je te traverse
à l'entrave des mots,
qui scellent ma demeure
et demeurent sur quelque chose
qui interroge mes pas

Il y a un bord d'océan
dans chacun
d'où on part
ou l'on échoue.

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