LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Ana Blandiana au Salon du livre 2013
Soleil de l'insomnie
Soleil de l'insomnie,
Blanc métal fondu,
Insupportable sur la rétine,
Traversant la paupière,
Veille éclatante,
Regard sans le moindre espoir d'ombre
Me tenant suspendue
En haut, au-dessus de tous les sens,
Au-dessus du noir si doux,
Attenant, de l'enfer,
Dans la plus cruelle et impudique
Lumière
Dont je ne veux que
Tomber, tomber...
Ana Blandiana - Étoile de proie (in "Autrefois les arbres avaient des yeux") - 1985
LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Ana Blandiana au Salon du livre 2013
Le piège
Je le ferai ainsi :
Le miroir à la place de la pierre.
Et à la place du nom,
encore un autre miroir.
Ce sera comme un piège
Dans lequel vous tomberez
Enfin.
Peu m'importe que personne ne saura
L'endroit de ma tombe,
Lorsque vous irez vous pencher au-dessus d'elle
Curieux de voir
Qui y repose
Et où vous n'y verrez
Que vous-mêmes.
Anna Blandiana - L'architecture des vagues (in "Autrefois les arbres avaient des yeux") - 1990
LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Ana Blandiana au Salon du Livre 2013
Pour sa 33ème édition, le Salon du livre met à l'honneur les Lettres Roumaines. Vingt-sept auteurs roumains seront présents à Versailles du 22 au 25 mars.
Ana Blandiana est née en 1942, près de Timişoara. C'est une poétesse dont l’œuvre est emblématique d’une littérature entre les tensions de l’oppression et une tradition vive de créativité. Auteur d’une œuvre délicate presque totalement méconnue en français en dépit de sa notoriété de femme engagée auprès de la société civile, Ana Blandiana est aussi l’auteur d’un roman polyphonique sur les conditions de la création littéraire dans une société fermée et totalitaire. Après la publication de son premier poème paru sous le pseudonyme d’Ana Blandiana, elle fut dénoncée comme « fille d’un ennemi du peuple » et empêchée de s’inscrire à la Faculté pendant quatre années consécutives. Après ce faux départ imposé par le régime communiste, elle se réinscrit en 1963 à la Faculté de philologie de Cluj et publie, en 1964, son premier recueil de poèmes au titre annonciateur de ses engagements futurs : La Première personne du pluriel. Ana Blandiana crée en 1990 l’Alliance civique, maillon essentiel dans la vie de la « polis » après la chute de la dictature. Elle fonde également le Mémorial des Victimes du Communisme et de la Résistance, à Sighet (nord de la Roumanie). Elle a été traduite dans de nombreuses langues.
Jusqu'au 25 mars, dans le cadre du Printemps des Poètes, je présenterai chaque jour un poème d'Ana Blandiana, en hommage à cette dame, invitée du salon. Chaque page est extraite de l'un des recueils de la poétesse : "Autrefois les arbres avaient des yeux", édité au Cahiers Bleus/Libraire Bleue, en décembre 2005.
Rencontre
N'aie pas peur.
Tout sera tellement plus simple
Que tu ne comprendras
Que bien plus tard.
Tu attendras au début
Et tu n'auras de la peine
Que lorsque
Tu commenceras à croire
Que je ne t'aime plus,
Mais alors je mettrai
Un brin d'herbe à pousser
Dans un coin connu du jardin,
Qu'il arrive jusqu'à toi
Et te murmure :
N'ayez pas peur,
Elle est bien
Et vous attend
À mon autre bout
Anna Biandana - Cinquante poèmes (in Autrefois les arbres avaient des yeux) - 1970
LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Jean Tardieu au Printemps des Poètes 2013
Le Monde Immobile
Puits de ténèbres
fontaine sourde
lac sans éclat
présence épaisse
battement faible
l'instant est là
rien ni personne
une ombre lourde
et qui se tait
j'attends des siècles
rien ne résonne
rien n'apparaît
sur ce tombeau
l'espace bouge
c'est ma pensée
pour nul regard
pour nulle oreille
la vérité.
Jean Tardieu - Une voix sans personne (1951 - 1953)
LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Jean Tardieu au printemps des Poètes 2013
Locutions
ou
Les Commandements de Dieu
"Allez voir là-bas si j'y suis :
Vous trouverez à qui parler.
C'est à prendre ou à laisser.
Non, mais, pour qui me prenez-vous ?
Puisque c'est moi qui vous le dis :
ce n'est pas moi qui ai fait le coup.
Souvenez-vous de mes paroles,
mais si vous me prenez au mot
vous le sentirez passer.
Ah ! puis en voilà assez !"
Jean Tardieu - Monsieur Monsieur (1948 - 1950)
LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Jean Tardieu, au Printemps des Poètes 2013
Ni l'un ni l'autre
Quoi dire, quoi penser ? Le jour
par son insistance à paraître,
avouons-le, avouons-le,
fatigue ses melleurs amis.
La nuit par contre, sournoise,
à tous nos instants se mélange,
elle bat sous nos paupières
elle rampe autour des objets :
inquiétante ! inquiétante !
Quant à cette chose sans nom
qui n'est ni le jour ni la nuit,
baissez la voix je vous le conseille
mieux vaut n'en point parler ici !
LA POÉSIE DANS LE BOUDOIR : Jean Tardieu au Printemps des Poètes 2013
En furetant sur le site officiel du "Printemps des Poètes", dans la catégorie "poèmes sur le(s) rire(s)", j'ai découvert qu'un hommage y est rendu à Jean Tardieu.
Jean Tardieu,dont je pense qu'il est un poète précurseur, un précurseur inspiré, un inspiré visionnaire, un visionnaire utopiste, un assembleur de nuées.
À ma façon, je vais, moi aussi, rendre hommage à ce grand homme en publiant, chaque jour, l'un de ces poèmes. Et pour mettre un peu de piment, je laisserai un mot en suspens... qui le découvrira ? Qui en trouvera un qui fera bonne mesure ? À vous de jouer, en déposant votre mot en commentaire de chaque billet. Et de ces mots déposés, ensemble nous ferons un poème.
Dialogues à voix basse
Et celle qui riait sans pouvoir s'arrêter ?
- C'était pour t'avertir des plus graves dangers.
Et celle qui pleurait avec tant de finesse ?
- C'était pour t'éclairer sur ta propre faiblesse.
Et ce train qui partait, je le manquais de peu ?
- C'était pour égarer les ------ ombrageux.
Et le temps qui montait sans m'avancer d'un pas ?
- Comprends toi-même enfin ! Je ne te réponds plus.
Le témoin invisible - 1943
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