TERRE DES AFFRANCHIS, Liliana Lazar
Je ne vais pas insérer la quatrième de couverture (d'ailleurs je pense que je ne le ferai plus jamais) mais surtout pour ce roman. Elle ne reflète absolument pas la profondeur, l'émotion, la richesse de ce texte.
La 1ère de couv chez Babel, en revanche, ne laisse planer aucun doute sur la teneur de ce roman : le lecteur va entrer de plein pied dans un monde sépulcral, inquiétant, lugubre, tourmenté, comme le sont les troncs et les branches des arbres qui illustrent la jaquette. C'est la photographie d'une reproduction d'un tableau de Myriam Escofet : The Witching Hour, de 2008. La thématique tourne autour du mystique, du symbolique. "Récemment, j'ai été attirée par des thèmes allégoriques et archétypaux et par des idées de paysages magiques et des passés archaïques. Un thème particulier et récent est l'olivier, qui pour moi est un arbre presque sacré, si profondément ancré dans la mythologie, la religion et le paysage de la Méditerranée", déclare-t-elle.
Liliana Lazar est née en Roumanie en 1972, Elle passe l’essentiel de son enfance dans la grande forêt qui borde le village de Slobozia, où son père était garde forestier. Après la chute de Ceauşescu, elle quitte la Roumanie pour s’installer dans le sud de la France (à Gap, en 1996) où elle réside encore aujourd’hui. C’est Slobozia qui servira de décor à son roman Terre des affranchis, paru en 2009 chez Gaïa. Liliana Lazar écrit en français.
La rencontre d'une jeune dame ou demoiselle avec Victor Luca serait tout à fait dramatique : c'est un serial killer, un obsédé sexuel, un psychopathe, que les odeurs de mandragore rendent complètement dément, et qui, de prime abord, est un être absolument aliéné. Né d'un père alcoolique, tyrannique et d'une mère soumise et résignée, Victor incarne toute la misère sociale d'une Roumanie ployée sous le joug de la famille Ceauşescu en même temps qu'elle est ancrée dans ses croyances populaires. Liliana Lazar mêle avec intelligence ce composé détonnant d'ancien et de moderne réuni dans une fable mystique, fantastique et envoûtante. Dans cette société répressive, les êtres qu'elle décrit sont fragles et perdus ; ils se raccrochent à leurs superstitions pour tenter d'expliquer ce qui les dépassent dans leur aujourd'hui. Leur religion mise à mal, elle aussi, ils ne peuvent, pour essayer de se protéger, que construire d'éphémères remparts contre les images de la mort qui les assaillent : ici on torture, on assassine, on se suicide, on "parricide"...Mais on se reclut aussi, dans un puissant, mais vain, désir de rédemption.
Une Roumanie stigmatisée, fouaillée par son histoire. Une Roumanie qui oscille entre ses pulsions meurtrières et sa volonté de rédemption. C'est ainsi que LiIliana Lazar décrit son pays. Ce pays qui est toujours hanté par les "moroï", les morts-vivants, ceux qui visitent encore les habitants de Slobozia, qui les inquiètent, et qui les protègent aussi de leurs pulsions meurtrières et, peut-être, d'une histoire politique si lourde à porter qu'il leur vaut mieux se réfugier dans les légendes que de regarder la réalité en face.
Un premier roman troublant, poignant, vibrant, couronné par une douzaine de prix, dont celui des cinq continents de la francophonie.
Et voici comment, malicieusement, on glisse sa dernière lecture dans le challenge "À tous prix" de Laure (ici)