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Littér'auteurs

20 décembre 2012

COMPTES DE NOËL, Delphine de Vigan

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Cette nouvelle est la seule écrite par Delphine de Vigan, dans le recueil "NOUVELLES CONTEMPORAINES - Regards sur le monde". Très courte, comme il se doit. Très courte, mais une lucarne sur le monde d'aujourd'hui... contemporain comme l'annonce de titre du recueil.


Elsa.

Elsa qui met des chiffres partout dans sa vie ; lorsqu'elle apprend que son père, une nuit de Noël, est parti du domicile familial pour aller à l'autre bout du monde, elle s'occupe de la distance qui la sépare de lui, en kilomètres : "De l'autre côté, c'est l'Australie. À 20 000 kilomètres, 12 730 si l'on passe par le centre de la terre". Elle sait "résoudre les équations à trois inconnues, multiplier avec plusieurs chiffres (avant et après la virgule), diviser le plus petit par le plus grand..." et poutant, elle "donnerait tous les livres pour être comme les autres, dans cette innocence, [...] tous les livres pour croire encore au père Noël".

Elsa.

Elsa qui se demande si elle n'a pas des chiffres à la place du coeur. 

Elsa.

Elsa, un autre soir de Noël, longtemps après le départ de son père, qui va faire ses "comptes"....


Bien sûr, comme dans la plupart des nouvelles, on attend la chute, celle qui va nous surprendre, tant on n'aurait pas pu imaginer qu'elle tombe aussi inattendue. Celle de Delphine de Vigan n'est pas tellement déconcertante, non.Mais elle n'est pas décevante non plus. Ce n'est pas elle, cependant, qui nous donnera envie de croire au père Noël !


J'inscris ce billet dans le challenge de Lune : "Je lis des nouvelles et des novellas" (ici)

Je lis des nouvelles

L'index des recueils de nouvelles de ma bibliothèque est ici

 

 

 

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16 décembre 2012

NEUF HISTOIRES ET UN POÈME ; Raymond Carver

carver

Les récits de Raymond Carver sont d'une simplicité déconcertante. Ils ont pour unique objet l'intimité, la banalité. La vie, en se repliant sur elle-même, est devenue ordinaire, insignifiante. C'est cela, l'époque moderne : la médiocrité qui vous persécute, l'être écrasé sous le poids du quotidien.
Mais il arrive que, de l'intérieur même de cette banalité, jaillisse comme un signe, un avertissement, une injonction à s'éveiller et à accomplir son destin, quel qu'il soit. Il arrive aussi que le message soit brouillé, ou lu de travers.
Ces histoires sont tantôt des tragédies, tantôt des comédies, ou les deux à la fois. Mais leus héros n'appartiennent pas plus à la caste des rois, des reines et des dieux qu'à celle des valets ou des confidents. Ce sont des gens : une serveuse de restaurant, un chômeur, un père anxieux, une femme divorcée et son ex-mar, trois pêcheurs, des voisins trop curieux, un enfant malade.
ils nous ressemblent.


"Simplicité déconcertante" ? Certes oui ! Pour mon premier contact avec Raymond Carver en particulier et avec ce genre littéraire qu'est la nouvelle, le moins que je puisse dire, c'est que j'ai été déconcertée, voire déstabilisée. 
J'avais été pourtant prévenue : Stéphane Michaka, dans son roman "Ciseaux" (ici) m'avait mise au parfum. Carver est un écrivain hors norme qui détient pleinement l'art de l'écrit court (c'est le propre d'une nouvelle, n'est-il pas ?) où tout est dit sans que rien ne soit vraiment dévoilé.Ses personnages sont ordinaires, ils vivent des choses ordinaires dans un quotidien ordinaire. Ce sont justement ces insignifiances qui donnent matière à l'auteur pour construire ses "histoires". Et c'est là que j'ai pris conscience du sens de mots comme "habileté", "dextérité", "talent", "maîtrise", "intensité"...

Quand je regarde, le soir venu, le déroulement de la journée qui vient de s'écouler, je n'en fais pas toute une histoire, moi ! Eh bien, Raymond Carver, si ! Et quelle histoire ! Et avec quel génie ! Il puise dans les états d'âme de ses personnages l'essence de répercussions psychologiques qu'il exploite pour donner corps à une succession d'évènements qui conduiront à une chute le plus souvent inattendue (ça, ce n'est pas du Carver, c'est bien trop long et...). Là aussi, c'est le propre de la nouvelle, contesteront certains esprits chagrins que mon panégyrique importunerait.

Alors, ce Carver, qu'a-t-il donc de si spécial ? Je pourrais dire que c'est le maître de ces phrases que l'on prononce sans y penser : "C'est la vie, que veux-tu !", "Qu'est-ce qu'il y a ?", "Je sais pas"... Ces quelques mots insignifiants (étymologiquement : privés de sens) dans nos propos, deviennent caisses de résonance ("raisonnance" ?) dans ceux des personnages, cabossés de la vie, qu'il évoque. Ces gens qui galèrent, qui exercent des petits boulots, qui rament pour tenir jusqu'à la fin du mois, qui rament pour tenir tout court, ces gens simples, ces gens las, ces gens désespérés, ces petites gens souvent incapables de parler, de communiquer, qui vivent une sorte de mutisme social. 

Les nouvelles de Carver disent le désespoir, la souffrance, la solitude, la lâcheté, la peur, le doute. Mais elles s'expriment avec tant de simplicité, de véracité, qu'au détour d'une virgule, que là, juste au dos d'une page, c'est vous que vous trouvez.Et même pas mal ! quoique... à y réfléchir ... Tout dépend comment on lit ces histoires à ne pas dormir debout.


Quelque chose me chiffonne : et si ces textes courts, ces vies sans passé ni lendemain, ces chutes désarçonnantes n'étaient l'oeuvre que de Gordon Lish (l'éditeur de Carver), le châtreur de textes ? Pas possible !  Carver a écrit : « Les mots, c'est finalement tout ce que nous avons, alors il vaut mieux que ce soit ceux qu'il faut et que la ponctuation soit là où il faut pour qu'ils puissent dire le mieux possible ce qu'on veut leur faire dire » (De l'écriture). Il faut que je lise "Débutants", le manuscrit original que la poétesse Tess Gallagher, sa deuxième épouse, a préservé, protégé et publié. 


Je lis des nouvelles

Comme je me suis engagée pour le challenge "Je lis des nouvelles" (clic), l'un de mes prochains billets sera dédié plus précisément à l'une des "neuf histoires" de Raymond Carver. Je vais devoir choisir entre :

  • De l'autre côté du palier
  • Ils t'ont pas épousée
  • Les vitamines du bonheur
  • Tais-toi, je t'en prie, tais-toi !
  • Tant d'eau si près de la maison
  • C'est pas grand chose, mais ça fait du bien
  • Jerry et Molly et Sam
  • L'aspiration
  • Dites aux femmes qu'on va faire un tour
16 décembre 2012

RENCONTRES POÉTIQUES : Bashō

Haiku

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L'année se termine

chapeau, sandales de paille -

je les porte encore !

*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*

toshi kurenu

kasa kite waraji

hakinagara

 

 

Bashō ; Cent Onze Haiku
traduits du Japonais par Joan Titus-Carmel ; Ed Verdier (2002)

 

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Hiver ; Jean-Marc Moschetti

 

 

13 décembre 2012

JE M'AMUSE EN RIMANT ; Jean Tardieu

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Quatrième de couverture

Pour aider les enfants à apprendre les tables de multiplication, Jean Tardieu a convoqué des animaux, les trois mousquetaires, un pianiste, les sept nains et bien d'autres personnages auxquels il arrive des histoires désopilantes qui font rimer chiffres et mots. Une mnémotechnique astucieuse et originale pour redécouvrir le plaisir de compter… en poésie.


Les éditions Gallimard ont publié ce recueil poétique en 1947, sous le titre Il était une fois, deux fois, trois fois ou la table de multiplication en vers. En 2000, elles le rééditent pour la préface et les illustrations sous le titre Je m'amuse en rimant.

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La première édition était illustrée par Élie Lascaux.Celle que j'ai entre les mains est signée de Sylvie Montmoulineix et préfacée par le poète Guy Goffette : "Il suffit de pousser la porte des mots qui n'est jamais verrouillée, et d'entrer dans le poème qui n'attendait que ça pour se mettre à chanter, à danser, à rire à mots déployés".

Si Jean Tardieu, en écrivant ce recueil de dix poèmes (un par table de mltiplication) avait l'intention d'instruire les enfants en les amusant, nul doute qu'il a du lui-même beaucoup se divertir ! C'est une famille de chats qui commence la danse.

"Ils pourchassent les souris,
Une fois six, six.

Et sautent après les alouettes,
Une fois sept, sept..."

Maurice, aux sports d'hiver, tentera ensuite de décortiquer la table de deux ; et les Trois Mousquetaires ? prêts pour la table de ... trois, bien évidemment ! Et tout à l'avenant, jusqu'à 10, avec l'histoire de l'avare et de sa femme.

Il est clair que ces poèmes d'apprentissage ont été écrits pour des enfants de 1947, qui n'avaient d'autre choix que de rabâcher leurs tables jusqu'à les savoir par coeur, et sans fioriture (j'en fais partie). Jean Tardieu, en la matière mathématique a du être très novateur ! Je me demande d'ailleurs si ses concepts ont connu quelque succès.Peut-être Célestin Freinet ? les émules de Maria Montessori ?

Ce recueil est surtout un charmant petit morceau d'anthologie qui pourrait aujourd'hui faire sourire nombre de pédagogues. Mais qui sait ? De réformes en réformes de l'enseignement, qui sait si les poèmes de Jean Tardieu ne feront pas, au détour d'une porte d'un nouveau ministère, un tabac ?

PS - Devinez qui est l'inspiratrice de la table de sept ! 

12 décembre 2012

LES LETTRES DE L'OURSE ; Gauthier David & Marie Caudry

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Présentation de l'éditeur 

L'ourse et l'oiseau se sont quittés à la fin de l'été. Elle est restée dans le Nord, il est parti vers le sud, au soleil. Mais le manque est trop fort. Décidée à retrouver son cher oiseau coûte que coûte, l'ourse entame un long périple au bout du monde. Chaque jour, elle lui écrit pour partager les surprises de son voyage : forêt inquiétante, pêcheur malveillants et sirènes fabuleuses, traversées du désert et de la mer...


Jean-Max Rivière, en 1966, avait écrit : 

Un petit poisson, un petit oiseau
S'aimaient d'amour tendre
Mais comment s'y prendre
Quand on est dans l'eau
Un petit poisson, un petit oiseau
S'aimaient d'amour tendre
Mais comment s'y prendre
Quand on est là-haut

Quand on est là-haut
Perdus aux creux des nuages
On regarde en bas pour voir
Son amour qui nage
Et l'on voudrait bien changer
Ses ailes en nageoires
Les arbres en plongeoir
Le ciel en baignoire

[...]

Quand on est dans l'eau
On veut que vienne l'orage
Qui apporterait du ciel
Bien plus qu'un message
Qui pourrait d'un coup
Changer au cours du voyage
Des plumes en écailles
Des ailes en chandail
Des algues en paille.

Gauthier David, lui, a prêté son inspiration à une ourse de la montagne, qui, l'hiver survenant, s'apprête à hiberner. Mais, alors que chacune et chacun organisent sa maison hiémale, l'ourse n'a pas le coeur à préparer sa maison pour la froidure qui arrive. Elle aime, l'ourse ! Elle aime un oiseau qui l'a quittée pour sa survie, un oiseau migrateur. 

"Tu me manques déjà.
J'ai tellement aimé cet été avec toi !"

La voici pensive et mélancolique, confiant au vent la tâche d'apporter ses lettres d'amour quotidiennes dans le Sud, sur l'île au soleil de "son" oiseau.

Mais s'en est trop pour ce coeur lourd et désespéré : l'ourse prend la décision de rejoindre ce bel amour qui lui emplit l'âme. "Aujourd'hui, j'ai pris une grande décision. Je viens te retrouver à l'autre bout du monde."

Quelle aventure ! Et que belles sont les lettres de l'ourse à son oiseau ! Tout est empreint de douceur, de tendresse. Ces missives, sensibles, délicates, pudiques, disent l'attachement, le sentiment. Elles narrent aussi l'épopée de l'ourse. Ses rencontres : "Je mange de la gelée de groseilles avec un chat très sympathique". ... "Je voyage avec l'Ourse des Pyrénées. Elle rentre dans ses montagnes"... "Il y a beaucoup de monde ce soir. Des loups, des lynx, des sangliers, des enfants...". Ses découvertes : les volcans, la mer, les grottes (de Lascaux, sans doute), le désert... "C'est donc ça le Sud ?". L'histoire : la guerre, notamment "Tout autour de moi, j'entends hennir les chevaux et claquer les sabots". Et aussi, surtout la solidarité, celle de Blaireau, de Renard, de Castor... et des oiseaux du pays d'accueil.

Marie Caudry met son génie d'illustratrice au service de ce superbe album épistolaire, en prêtant ses plumes, pinceaux et crayons (à moins que ce ne soit le contraire) au talent de l'auteur des lettres de l'ourse à son bel oiseau. 

Hou la la, j'en suis toute émotionnée ! J'aimerais être l'Ourse pour savoir écrire de si belles lettres damour "Je suis heureuse d'avoir vécu toutes ces aventures. Elles m'ont rapprochée de toi".. J'aimerais être l'Oiseau pour savoir les lire "Je suis arrivée. Où es-tu ? [...] Viens vite". 

À découvrir sans tarder, à partir de 5 ans et bien au delà !!!

Le site de Marie Caudry, ici.

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10 décembre 2012

PARTAGES ; Gwenaëlle Aubry

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Quatrième de couverture :

Posé contre un mur, devant une échoppe, il y avait un grand miroir. Je me suis arrêtée pour me voir tout entière, de la tête aux pieds. Devant moi une fille, une touriste ou une Juive, je ne sais pas, se regardait dans un miroir plus petit accroché à côté. Elle portait une robe qui dénudait ses jambes et ses bras mais soudain elle a sorti un foulard de son sac et l'a noué sur ses cheveux. J'ai trouvé ça bizarre, j'ai cherché son reflet. Et là, un instant, j'ai vu dans le cadre étroit deux visages si semblables que je n'ai plus su qui je regardais. Cela m'a fait peur, vite je suis partie, je me suis effacée. En 2002, c'est ta seconde Intifada. Sarah, Juive d'origine polonaise, née et élevée à New York, est revenue vivre en Israël avec sa mère après les attentats du 11-Septembre. Leïla a grandi dans un camp de réfugiés en Cisjordanie. Toutes deux ont dix-sept ans. Leurs voix alternent dans un passage incessant des frontières et des mondes, puis se mêlent au rythme d'une marche qui, à travers les rues de Jérusalem, les conduit l'une vers l'autre. Partages est un roman sur la communauté et sur la séparation, sur ce qui unit et divise à la fois. Soeurs ennemies, Leïla et Sarah sont deux Antigone dont le corps est la terre où border et ensevelir leurs morts.


Deux voix, deux voies... qui s'entremêlent, s'enlacent, s'interfèrent, se conjuguent. Qui conjuguent l'histoire du pays sur lequel deux adolescentes viennent poser leur vie. Deux voix : celle de Sarah, jeune fille juive d'origine polonaise, dont la famille a émigré aux États-Unis qu'elle a fuis après les attentats du 11 novembre ; celle de Leila, jeune musulmane de Cisjordanie. Elles se partagent cette terre d'Israël, elles partagent les mêmes rêves d'adolescentes, elles partagent les mêmes émois psychiques des jeunes de leur âge. Elles ne se connaissent pas, mais marchent inexorablement l'une vers l'autre, pour que se partage leur destin. Mais quel est le possible destin commun de ces deux enfants en un lieu où la mort rode inexorablement ? où, de part et d'autre des convictions, chacun, chacune s'accroche désespérément à ses certitudes ?

D'aucuns diront que Gwenaëlle Aubry emprunte les voies déjà explorées du conflit israélo-palestinien (telle cette critique ici). D'autres reconnaîtront à cette auteure des qualités d'écriture et de narration : "Ce sont ces deux voix, ces deux images en négatif d'une même tragédie, que Gwenaëlle Aubry, Prix Femina 2009 pour Personne, orchestre magistralement dans Partages, opéra sanglant qui ne connaît ni mièvrerie ni dogmatisme.", écrit Marianne Payot...
Moi, qui ne suis pas critique littéraire, je ne peux parler que de l'émotion, du trouble que j'ai ressenti en lisant ce texte, écrit d'une seule respiration, en phrases très longues, mais pourtant ponctuées. Les voix de Sarah et Leila disent tant de mots qui se ressemblent qu'il m'est arrivé parfois de perdre le fil de leurs voix. Ces deux jeunes filles, à peine pubères, vivent cette guerre avec leurs tripes, leurs ventres qui devient fécond... qui deviendrait... si le poids des siècles ne pesait pas si lourd, si les défunts n'étaient pas si présents.

« Tous ici, Israéliens et Palestiniens, Arabes et Juifs, comme tu voudras, nous partageons la même folie, c’est elle qui, comme la terre, nous divise et nous réunit. Nous partageons une même hantise, tous, nous sommes habités par des cohortes de morts. » 

J'ai aimé ce roman, comme j'ai aimé ma belle rencontre, le 14 novembre dernier, avec Gwenaëlle Aubry, à la librairie Lucioles de Vienne. Cette dame manie l'oral aussi bien que l'écrit ; elle a su me convaincre quand elle expliquait que ce livre qu'elle m'offrait à lire était un "livre des hantises, un livre de partage[s]". Telle est sa dédicace...

9 décembre 2012

RENCONTRES POÉTIQUES : Jean Tardieu

 

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Conversation

***

Comment ça va sur la terre ?
- Ça va ça va, ça va bien.

Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon Dieu oui merci bien.

Et les nuages ?
- Ça flotte.

Et les volcans ?
- Ça mijote.

Et les fleuves ?
- Ça s'écoule.

Et le temps ? 
- Ça se déroule.

Et votre âme ?
- Elle est malade
le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.

Jean Tardieu ; Monsieur Monsieur (1951)


Jean Tardieu

Jean Tardieu est né en 1903 dans le Jura, d'un père peintre et d'une mère musicienne. Son oeuvre comprend de très nombreux recueils poétiques et des pièces de théâtre fréquemment représentées en France et à l'étranger : Le fleuve caché. Comme ceci, comme cela. Théâtre de chambre. Poèmes à jouer...

"Il me semble que je lisais beaucoup plus que les enfants de mon âge. J'aimais lire la nuit. Et j'aime toujours la nuit, je me sens très calme, à l'abri. J'aime la paix, la sérénité de la nuit". 

Il écrivait la nuit.

Jean Tardieu a toujours beaucoup aimé les enfants et se sentait proche d'eux : il a eu un public fidèle de jeunes lecteurs. Les enfants lui envoyaient des lettres, des dessins et des poèmes.

Pour lui, être poète était une sorte de nécessité. Il disait que ce goût pour l'écriture ne l'avait jamais quitté, et il n'a jamais cessé d'écrire jusqu'à la fin de sa vie, en 1995.

 

7 décembre 2012

JLNN : Bonnes nouvelles !

Je lis des nouvelles

"Un papillon dans la lune" (clic) lance un challenge bien sympathique : Lune suggère de lire, du 12.12.12 au 11.12.13, des nouvelles et des novellas (définition sur son billet [clic]), et de les chroniquer. Je m'y suis inscrite, et vous ?

Extrait du règlement :

  • Niveau "Micro-lecteur/Micro-lectrice" ou encore "Je lis des nouvelles et des novellas mais c'est bien pour faire plaisir à Lune" : lire et chroniquer 3 nouvelles ou recueils ou novellas.
  • Niveau "Mini-lecteur/Mini-lectrice" ou encore "Je lis des nouvelles et des novellas et je commence à trouver ça plaisant" : lire et chroniquer 6 nouvelles ou recueils ou novellas.
  • Niveau "Joyeux lecteur/Joyeuse lectrice" ou encore "Je lis des nouvelles et des novellas et j'aime ça" : lire et chroniquer 12 nouvelles ou recueils ou novellas. (oui j'ai mis Joyeux je n'aimais pas "midi-lecteur", ça sonnait moche, et puis mini, midi, maxi, ce sont des tailles de culottes)
  • Niveau "Maxi-lecteur/Maxi-lectrice" ou encore "Je lis des nouvelles et des novellas et je ne peux plus m'arrêter" : lire et chroniquer 24 nouvelles ou recueils ou novellas. 
4 décembre 2012

IRIS ET L'ESCALIER ; Anna de Sandre & Chiaki Miyamoto

Iris couverture

Elle est bien mignonne cette petite Iris rouquinette. Chiaki Miyamoto, l'illustratrice, lui a offert de grands yeux, curieux du monde qui l'entoure. De grands yeux, un petit épi rebelle et une tenue soft, digne d'une fillette exploratrice. "Iris est haute comme trois pommes", annonce Anna de Sandre, l'auteure de ce rafraîchissant album destiné aux enfants de 3 à 6 ans. Iris a un "ami/ennemi" : "Escalier". 

Escalier lui en fait voir de toutes les couleurs, à cette petite louloute, avec ses 10 marches ! "Pied droit, pied gauche"... pendant qu'Iris combat sa peur, Escalier retient son souffle. Et quand elle arrive jusqu'au bout, soulagée, elle donne un bisou à la première marche.

Mais, c'est le travail des enfants de vouloir grandir encore. Avec ses dix marches, Escalier devient trop petit. Plus haut, toujours plus haut ! Iris veut grimper haut, très haut sur un arbre géant. Elle veut toucher le ciel, quoi de plus normal ?

La suite, il faut la lire, la dire, la découvrir... avec Iris, Partir au Pays des Très Grands Arbres, rencontrer des animaux très, très grands, où l'on se sent très petit. Toucher le ciel, les nuages... Grandir, en somme.

Bel album, au texte simple qui n'infantilise pas les enfants, aux traits doux et déliés. L'illustratrice utilise à merveille la technique du crayon de couleurs.

Trente-deux pages pour accompagner le câlin du soir, quand les yeux des petits se ferment sur le jour pour s'ouvrir sur les envies de grandeur.

Le blog d'Anna de Sandre est ici. Il s'appelle Biffures Chroniques.

Iris a sa propre page Facebook, ici Il ne tient qu'à vous de l'aimer.

2 décembre 2012

CENT ANS . Herbjørg Wassmo

 

cent ans

"Herbjørg Wassmo recompose ainsi quatre générations, se glissant dans ces aventures familiales, à la fois observatrice et sujet. Unions arrangées, ribambelle de bébés plus ou moins désirés, exils et deuils émaillent cette fresque somptueuse, qui décrit aussi un pays exigeant beaucoup des individus. Dans le Nordland, on vit de la pêche intensive, les hommes partent longtemps sur des bateaux de fortune, les femmes restent à terre, trimant comme des esclaves pour nourrir les enfants par dizaines. Herbjørg Wassmo nous transporte dans ce quotidien rugueux où le progrès met du temps à venir...
Cent Ans est une oeuvre intime et charnelle autant qu'une épopée éblouissante et déchirante. (Christine Ferniot - Télérama du 16 mars 2011 )

Une vie de labeur et de dévouement, tel est le lot de Sara Susanne, Elida et Hjørdis. Elles sont l'arrière-grand-mère, la grand-mère et la mère de la narratrice, petite fille inquiète qui noircit de son crayon jaune les pages de son journal, réfugiée dans l'étable ou sous un rocher. Cent ans raconte l'histoire de leur vie. Fidèle à ses habitudes, Herbjørg Wassmo ancre ce roman entre ciel et mer, dans le cadre rude et grandiose du Nordland, terre désolée à l'extrême nord de la Norvège. Habitant elle-même une île située au-delà du cercle polaire, la romancière se fait la porte-parole de ses habitants, souvent méprisés par les Norvégiens du Sud...
Mais la terre du Nordland se montre parfois généreuse : pêche au hareng miraculeuse, récolte abondante de pommes de terre. Et l'on assiste à des instants de grâce, comme les séances de pose de Sara Susanne pour le pasteur, qui peint un retable destiné à la cathédrale des Lofoten, ou encore ces veillées de lecture qui perpétueront le goût des livres (et de l'écriture) dans la famille...
On referme sans l'avoir vu filer ce livre au verbe lyrique et au souffle puissant, qui jette des passerelles entre hier et demain. (Sophie Conrard - Le Monde du 17 mars 2011 )

Comme dans Le livre de Dina, Wassmo sait parfaitement imbriquer la réalité et la fiction, parler des grandes familles où le bonheur rime avec chaos. Dans cet archipel, berceau de son enfance, les hommes partent longtemps dans les fjords pour pêcher la morue par un froid de loup. Les femmes ont tant à faire avec leur ribambelle d'enfants, le commerce à tenir, la maison à protéger. L'écriture de Wassmo est celle des grandes narratrices qui décrivent le vent sur la lande, la neige qui balaye les rochers et la sensualité des femmes. Chez elle, on aime à la face du monde, on choque, on crie, mais on écoute aussi les peurs des enfants qui grandissent trop vite et se cachent avec un carnet et un crayon jaune pour résister. C'est tout cela que nous offre Herbjørg Wassmo dans ses livres magiques. (Christine Ferniot - Lire, mars 2011 )

Cent ans pile séparent la narratrice de sa bisaïeule, et c'est Sara Susanne, née en 1842, Elida, une de ses filles, et Hjørdis, mère de la narratrice, qui occupent le devant de la scène. Six cahiers pour trois femmes - comme un «pentateuque plus un» - nous font découvrir leurs trajectoires. On se croirait presque dans la bible : tribus d'enfants, généalogies, malédictions, miracles, cruauté du sort - à ceci près qu'aux patriarches se substituent des matriarches. De là aussi naît l'exotisme de cette fresque qui balaie un siècle, nous faisant passer du télégraphe au téléphone, du chemin de fer aux lignes aériennes, de l'exploitation du sol à l'exploitation de l'homme. On est saisi, à la lecture, par une forme de surprise bien particulière : une femme nous parle de femmes et c'est comme si c'était la première fois. Les hommes sont pourtant présents, admirés, convoités, craints, aimés, tendrement, passionnément aimés, mais c'est un peu comme s'ils occupaient la place habituellement réservée aux épouses et aux mères, un deuxième plan plus flou, parfois plus poétique. Herbjørg Wassmo est l'héritière de ses voisines danoise et suédoise, Karen Blixen ou Selma Lagerlöf. Conteuse puissante et déterminée, elle s'inscrit dans une tradition d'écriture féminine scandinave qui n'a pas froid aux yeux et empoigne la fiction avec une vigueur rayonnante. (Agnès Desarthe - Libération du 17 mars 2011 )."


 À onze ans, la narratrice, Herbjørg, comprend "jusqu'à quel point les mots peuvent être dangereux" parce qu'elle craint son père, que le lecteur présume incestueux dès les premières lignes, "Ce n'est que lorsque je vois le bateau qui l'emporte prendre le large que je me sens en sécurité".

Elle écrit. elle cherche à découvrir l'histoire de son ascendance ("Dans ce livre je suis à la recherche de mes aïeules et de leurs époux") ; sa fille lui parle  d'un retable qui aurait été peint entre 1869 et 1870 par un pasteur qui se serait servi d'un modèle vivant pour représenter l'ange qui accompagne le Christ. Cet "ange" serait Sara Susanne Krog, née Bing Lind, le 19 janvier 1842 à Kjopsvik dans le Nordland. Il s'agit là d'une autobiographie romancée.

Le cadre de ce consistant roman est posé dès les premières lignes. Qu'importe si Sara Susanne n'est pas la véritable ancêtre de l'auteur ("Celui qui raconte une histoire choisit ce qui lui convient de raconter"), celle qui a fondé la lignée de femmes que le lecteur va accompagner tout au long des presque 600 pages qui se lisent sans lassitude aucune ? Sara Susanne est le fil rouge de cette saga familiale ; sixième enfant d'une famille modeste, elle deviendra la mère d'une nombreuse descendance et apprendra à considérer le mari qui lui fut conféré à l'aube de sa vie de femme. L'une de ses filles Elida sera elle-même la génitrice d'une ribambelle de petits, dont Hjørdis, la mère d'Herbjørg Wassmo. Mais Elida sera plus épouse que mère et choisira d'abandonner quelques uns de ses enfants à quelques familles d'accueil pour suivre son époux, fragilisé par une maladie cardiaque. Hjørdis ne lui pardonnera jamais et conservera ce traumatisme ancré si profond qu'elle se réfugiera dans une sorte de mutisme et dans le non-amour, la non-tendresse.

Cent ans, c'est ce qui sépare la naissance fictionnelle (mais "la vérité pure existe-t-elle chez les humains ?") de Sara Susanne de celle, bien réelle, d'Herbjørg. Une épopée où la violence est omniprésente. Violence des éléments naturels dans l'extrême pointe septentrionale de la Norvège, où l'infinitude des nuits rend les conditions climatiques rudes et éreintantes. Violence du cadre de ce Nordland où l'eau et la terre se mêlent, glaciales, inhospitalières. Violence du labeur des hommes, qui vivent exclusivement de la pêche à la morue et au hareng et partent  en mer sur de frêles et précaires esquifs. Violence de la vie des femmes restées à terre, épousées, plus ou moins contraintes, par des hommes rugueux, peu enclins à la tendresse, épuisées par les maternités itératives. Déracinements, pertes, malheurs s'entremêlent dans cette saga, intensifiant, si besoin était, son caractère déchirant. Violence, mais aussi fierté de ces femmes.

Sara Susanne... celle qui engendre un secret de famille qui hantera sa descendance au fil des générations. De femmes en femmes, de mères en mères, de mères en filles, le fardeau de l'irrévélé pèse avec violence et les poursuit jusqu'à l'irréversible sur Herbjørg elle-même.

Spectatrice et actrice en même temps, l'auteure se faufile dans les intimités, sublime les chagrins et les douleurs, transcende les joies brèves mais intense de ce monde âpre dont elle vient et qui l'a construite."Le contenu est terrifiant" annonce-t-elle en préambule, et "c'est la vie qui fait de nous ce que nous sommes". L'écriture de Herbjørg Wassmov est rythmée, poétique, évocatrice. Le roman se décompose en six cahiers, introduits chacun par les mots de la narratrice, de Herbjørg. Puis elle laisse ces générations de femmes prendre leur place dans des événements avérés, certes, mais aussi dans une fiction émotionnelle qui cadence le roman. Il est palpable que ces moments d'écrture furent salvateurs et libérateurs pour cette femme pétrie par la violence de la vie de celles et ceux qui l'ont précédée, qui lui ont transmis cette âpreté de la condition humaine en général, féminine en particulier.

Un roman intense, dense, profond, qui donne à voir l'évolution de la condition féminine en un siècle. "Parler de sentiments sans faire de psychologie"... Herbjørg Wassmo y parvient magistralement, talentueusement. Un roman rare, exceptionnel.

Merci à Anne de m'avoir donné envie de le lire (je vais maintenant pouvoir enfin découvrir sa chronique, ici).

 

 


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