"Herbjørg Wassmo recompose ainsi quatre générations, se glissant dans ces aventures familiales, à la fois observatrice et sujet. Unions arrangées, ribambelle de bébés plus ou moins désirés, exils et deuils émaillent cette fresque somptueuse, qui décrit aussi un pays exigeant beaucoup des individus. Dans le Nordland, on vit de la pêche intensive, les hommes partent longtemps sur des bateaux de fortune, les femmes restent à terre, trimant comme des esclaves pour nourrir les enfants par dizaines. Herbjørg Wassmo nous transporte dans ce quotidien rugueux où le progrès met du temps à venir...
Cent Ans est une oeuvre intime et charnelle autant qu'une épopée éblouissante et déchirante. (Christine Ferniot - Télérama du 16 mars 2011 )
Une vie de labeur et de dévouement, tel est le lot de Sara Susanne, Elida et Hjørdis. Elles sont l'arrière-grand-mère, la grand-mère et la mère de la narratrice, petite fille inquiète qui noircit de son crayon jaune les pages de son journal, réfugiée dans l'étable ou sous un rocher. Cent ans raconte l'histoire de leur vie. Fidèle à ses habitudes, Herbjørg Wassmo ancre ce roman entre ciel et mer, dans le cadre rude et grandiose du Nordland, terre désolée à l'extrême nord de la Norvège. Habitant elle-même une île située au-delà du cercle polaire, la romancière se fait la porte-parole de ses habitants, souvent méprisés par les Norvégiens du Sud...
Mais la terre du Nordland se montre parfois généreuse : pêche au hareng miraculeuse, récolte abondante de pommes de terre. Et l'on assiste à des instants de grâce, comme les séances de pose de Sara Susanne pour le pasteur, qui peint un retable destiné à la cathédrale des Lofoten, ou encore ces veillées de lecture qui perpétueront le goût des livres (et de l'écriture) dans la famille...
On referme sans l'avoir vu filer ce livre au verbe lyrique et au souffle puissant, qui jette des passerelles entre hier et demain. (Sophie Conrard - Le Monde du 17 mars 2011 )
Comme dans Le livre de Dina, Wassmo sait parfaitement imbriquer la réalité et la fiction, parler des grandes familles où le bonheur rime avec chaos. Dans cet archipel, berceau de son enfance, les hommes partent longtemps dans les fjords pour pêcher la morue par un froid de loup. Les femmes ont tant à faire avec leur ribambelle d'enfants, le commerce à tenir, la maison à protéger. L'écriture de Wassmo est celle des grandes narratrices qui décrivent le vent sur la lande, la neige qui balaye les rochers et la sensualité des femmes. Chez elle, on aime à la face du monde, on choque, on crie, mais on écoute aussi les peurs des enfants qui grandissent trop vite et se cachent avec un carnet et un crayon jaune pour résister. C'est tout cela que nous offre Herbjørg Wassmo dans ses livres magiques. (Christine Ferniot - Lire, mars 2011 )
Cent ans pile séparent la narratrice de sa bisaïeule, et c'est Sara Susanne, née en 1842, Elida, une de ses filles, et Hjørdis, mère de la narratrice, qui occupent le devant de la scène. Six cahiers pour trois femmes - comme un «pentateuque plus un» - nous font découvrir leurs trajectoires. On se croirait presque dans la bible : tribus d'enfants, généalogies, malédictions, miracles, cruauté du sort - à ceci près qu'aux patriarches se substituent des matriarches. De là aussi naît l'exotisme de cette fresque qui balaie un siècle, nous faisant passer du télégraphe au téléphone, du chemin de fer aux lignes aériennes, de l'exploitation du sol à l'exploitation de l'homme. On est saisi, à la lecture, par une forme de surprise bien particulière : une femme nous parle de femmes et c'est comme si c'était la première fois. Les hommes sont pourtant présents, admirés, convoités, craints, aimés, tendrement, passionnément aimés, mais c'est un peu comme s'ils occupaient la place habituellement réservée aux épouses et aux mères, un deuxième plan plus flou, parfois plus poétique. Herbjørg Wassmo est l'héritière de ses voisines danoise et suédoise, Karen Blixen ou Selma Lagerlöf. Conteuse puissante et déterminée, elle s'inscrit dans une tradition d'écriture féminine scandinave qui n'a pas froid aux yeux et empoigne la fiction avec une vigueur rayonnante. (Agnès Desarthe - Libération du 17 mars 2011 )."
À onze ans, la narratrice, Herbjørg, comprend "jusqu'à quel point les mots peuvent être dangereux" parce qu'elle craint son père, que le lecteur présume incestueux dès les premières lignes, "Ce n'est que lorsque je vois le bateau qui l'emporte prendre le large que je me sens en sécurité".
Elle écrit. elle cherche à découvrir l'histoire de son ascendance ("Dans ce livre je suis à la recherche de mes aïeules et de leurs époux") ; sa fille lui parle d'un retable qui aurait été peint entre 1869 et 1870 par un pasteur qui se serait servi d'un modèle vivant pour représenter l'ange qui accompagne le Christ. Cet "ange" serait Sara Susanne Krog, née Bing Lind, le 19 janvier 1842 à Kjopsvik dans le Nordland. Il s'agit là d'une autobiographie romancée.
Le cadre de ce consistant roman est posé dès les premières lignes. Qu'importe si Sara Susanne n'est pas la véritable ancêtre de l'auteur ("Celui qui raconte une histoire choisit ce qui lui convient de raconter"), celle qui a fondé la lignée de femmes que le lecteur va accompagner tout au long des presque 600 pages qui se lisent sans lassitude aucune ? Sara Susanne est le fil rouge de cette saga familiale ; sixième enfant d'une famille modeste, elle deviendra la mère d'une nombreuse descendance et apprendra à considérer le mari qui lui fut conféré à l'aube de sa vie de femme. L'une de ses filles Elida sera elle-même la génitrice d'une ribambelle de petits, dont Hjørdis, la mère d'Herbjørg Wassmo. Mais Elida sera plus épouse que mère et choisira d'abandonner quelques uns de ses enfants à quelques familles d'accueil pour suivre son époux, fragilisé par une maladie cardiaque. Hjørdis ne lui pardonnera jamais et conservera ce traumatisme ancré si profond qu'elle se réfugiera dans une sorte de mutisme et dans le non-amour, la non-tendresse.
Cent ans, c'est ce qui sépare la naissance fictionnelle (mais "la vérité pure existe-t-elle chez les humains ?") de Sara Susanne de celle, bien réelle, d'Herbjørg. Une épopée où la violence est omniprésente. Violence des éléments naturels dans l'extrême pointe septentrionale de la Norvège, où l'infinitude des nuits rend les conditions climatiques rudes et éreintantes. Violence du cadre de ce Nordland où l'eau et la terre se mêlent, glaciales, inhospitalières. Violence du labeur des hommes, qui vivent exclusivement de la pêche à la morue et au hareng et partent en mer sur de frêles et précaires esquifs. Violence de la vie des femmes restées à terre, épousées, plus ou moins contraintes, par des hommes rugueux, peu enclins à la tendresse, épuisées par les maternités itératives. Déracinements, pertes, malheurs s'entremêlent dans cette saga, intensifiant, si besoin était, son caractère déchirant. Violence, mais aussi fierté de ces femmes.
Sara Susanne... celle qui engendre un secret de famille qui hantera sa descendance au fil des générations. De femmes en femmes, de mères en mères, de mères en filles, le fardeau de l'irrévélé pèse avec violence et les poursuit jusqu'à l'irréversible sur Herbjørg elle-même.
Spectatrice et actrice en même temps, l'auteure se faufile dans les intimités, sublime les chagrins et les douleurs, transcende les joies brèves mais intense de ce monde âpre dont elle vient et qui l'a construite."Le contenu est terrifiant" annonce-t-elle en préambule, et "c'est la vie qui fait de nous ce que nous sommes". L'écriture de Herbjørg Wassmov est rythmée, poétique, évocatrice. Le roman se décompose en six cahiers, introduits chacun par les mots de la narratrice, de Herbjørg. Puis elle laisse ces générations de femmes prendre leur place dans des événements avérés, certes, mais aussi dans une fiction émotionnelle qui cadence le roman. Il est palpable que ces moments d'écrture furent salvateurs et libérateurs pour cette femme pétrie par la violence de la vie de celles et ceux qui l'ont précédée, qui lui ont transmis cette âpreté de la condition humaine en général, féminine en particulier.
Un roman intense, dense, profond, qui donne à voir l'évolution de la condition féminine en un siècle. "Parler de sentiments sans faire de psychologie"... Herbjørg Wassmo y parvient magistralement, talentueusement. Un roman rare, exceptionnel.
Merci à Anne de m'avoir donné envie de le lire (je vais maintenant pouvoir enfin découvrir sa chronique, ici).
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