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Littér'auteurs

7 octobre 2014

PAR LE BOUT DU NEZ...

À l'invite hebdomadaire des IMPROMPTUS LITTÉRAIRES (ici)
j'ai répondu.
Sur le thème
d'un labyrinthe des odeurs
que j'ai voulu littéraire.

Par le bout du nez

« Madame. Nous avons le grand plaisir de vous inviter à participer à notre grande chasse aux écrivains, le … ». À la réception de ce carton, elle s’étonne : certes, elle est lectrice assidue, mais de là à pister les auteurs… Curieuse, elle se décide à se rendre à cette invite. Elle s’apprête soigneusement, convaincue d’y rencontrer quelques plumes célèbres.

Accueillie avec solennité par un majordome caudataire (tiens ! son allure lui rappelle sa lecture du « Voyage en Italie » d’Hyppolyte Taine), elle est conduite dans une sorte de hammam ; là, on l’invite à se dévêtir et à se plonger dans une eau cristalline et singulièrement inodore. Elle qui se préparait aux fragrances de l’Orient ! Puis on la revêt d’une longue toge blanche terriblement inodorante, elle aussi. Puis, après lui avoir bandé les yeux, on la mène dans un quelque endroit. Insonore. La porte se referme derrière elle. Elle tente de calmer les battements désordonnés de son cœur en inspirant profondément.

Tout est là : l’odeur des livres ! Celle du papier jauni par le temps.  Celle, cuirée, des couvertures. Et celle des encres fraîchement estampillées sur les pages des ouvrages. Par son odorat, tous ses sens se renseignent et se mettent en alerte. Elle a enfin compris la raison pour laquelle elle est là… Elle avance à tâtons, les bras en avant. Ses mains, soudain affleurent une jaquette. Dont elle s’empare et qu’elle approche de son visage. Un souffle d’herbes sèches, de pins, de rocailles brûlantes et de bois calciné parvient jusqu’à elle …Henri Bosco[1], murmure-t-elle. Elle a compris et fébrile, elle cherche, à l’aveugle, un autre ouvrage. Celui-ci lui renvoie une bouffée d’ambre, de musc, de benjoin et d’encens ; Charles Baudelaire[2] s’impose soudain. Elle poursuit sa quête. « Des odeurs de nuit, de terre et de sel »… la voici aux côtés d’Albert Camus[3]. Le parfum maléfique de fruit mûr blessé des lys des rivages qui s’élancent de la terre sourd d’un autre livre : c’est Colette[4], qui émerge de la collection. Elle croit détecter un effluve d’eau de Javel. Elle rassemble ses souvenirs : Yann Quéffélec[5] se présente à sa mémoire. Mais Gustave Flaubert[6] le bouscule et lui apporte l’odeur salée de l’Océan. Voici, un peu plus loin, un livre qui pue la fourmi. Intriguée, elle cherche qui pouvait produire cette exhalaison nauséabonde. Mais oui ! C’est Honoré de Balzac[7] qui parlait ainsi de sa cousine ! Vite, une fragrance plus délicate ! C’est au marché qu’elle trouve Philippe Delerm[8], lorsqu’il achète du mimosa.

Elle se sent lasse, incapable de poursuivre cette collecte enivrante. Elle s’appuie contre une étagère. Elle entend une voix douce et grave : « Tous ces extraits pouvaient être mélangés pour obtenir d'autres nuances[9].... Revenez quand bon vous semble, Madame ! Nous serons toujours là pour vous accompagner au cœur des essences de la vie ! Puissent les vallées être vos rues et les verts sentiers vos allées, afin que vous puissiez vous chercher les uns les autres à travers les vignes et revenir avec les parfums de la terre dans vos vêtements ».[10]

 

Martine-Littér’auteurs – 2014/10/07



[3] - Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes.
L’Étranger

[4] - Ces lys des rivages qui s’élancent de la terre, grandissent si vite qu’on ose pas les regarder, épanouissent leur corolle et leur parfum maléfique de fruit mûr blessé, puis retournent au néant
La naissance du jour

[5] - Le public retenait son souffle. Voilà qu'au moment d'envoyer Antigone à la mort, il avait cru détecter sur la comédienne un parfum d'eau de Javel. Le rire avait aveuglé son attention, submergé la tragédie, gagné les autres comédiens avec la vélocité d'un virus : la troupe s'était fait siffler.
Le maître des Chimères.

 

[6] - Et l'arôme de tout cela lui apporte l'odeur salée de l'Océan. (...) le grand parfum des bois.
La Tentation de Saint-Antoine

 

[7] - Comme elle pue la fourmi ! (...) Je ne l'embrasserai pas souvent ma cousine !
La cousine Bette.

 

[8] - Le lendemain matin, ils allèrent au marché. Arnold acheta du mimosa qui sentait loin, jusqu'à l'enfance.
Il avait plu tout le dimanche.

 

[9] - Michel Baudet, Les parfums antiques. 

 

[10] - Khalil Gibran, Le passant d’Orphalèse

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5 octobre 2014

L'ART PRESQUE PERDU DE NE RIEN FAIRE, Dany Laferrière

L'art presque perdu de ne rien faire Laferrière

L'art de se perdre

Il y a se perdre dans l'espace, ça c'est facile,
et on finit toujours par se retrouver à Rome.

Il y a aussi se perdre dans le temps, et, quand
on s'en rend compte, c'est déjà trop tard.

Confondre le passé avec le présent n'est pas
la pire des choses.

Le problème c'est le futur antérieur.
La grammaire qui est censée nous indiquer
le bon sentier dans cette forêt du langage
ne nous est pas toujours d'un grand secours.

En fait, on ne se perd que si on sait
où aller et qu'on ne parvient pas à y arriver.
Si nous ne nous préoccupons pas
de notre destination, il n'y a pas lieu alors
de nous intéresser au point de départ.
Il reste qu'il est plus dangereux de se perdre
dans le temps que dans l'espace.

Mais à quel moment vous ai-je perdu, vous ?

30 septembre 2014

L'INCESSANT ~ Charles Juliet

L'INCESSANT CHARLES JULIET

L’incessant
Charles Juliet
Théâtre
P.O.L éditeur (22 septembre 2011)
38 pages

 

Deux voix intérieures… deux voix qui s’affrontent, se confrontent, se collettent, deux êtres qui dialoguent ou qui tentent de le faire. L’une et l’autre s’incarnent dans le même personnage. L’une est féminine, l’autre masculine. Les deux parties de l’être. Contradictoires, discordantes, incompatibles. Qui se mènent un combat sans merci. Qui évaluent et opposent les valeurs respectives qu’ils défendent âprement, chacun pour soi.

« L’homme » se complaît dans un engourdissement dont il se lamente. « La femme » défend la cause de la lutte contre la négation, « l’auto-négation ». Elle est la petite voix qui résonne et raisonne en chacun de nous. Certains la nomment conscience Il est l’apparent, l’ostensible, le paraître. Alors qu’il se plaint de toutes les misères du monde, elle prône l’accord avec une vie en cohérence : « Tu te répands en anathèmes sur l’incompréhension, l’intolérance, l’avidité, la haine, la barbarie…, mais toi, dans quel camp vas-tu te ranger ? Seras-tu de ceux qui vont ajouter à la confusion, l’injustice, la violence ? Ou au contraire, vas-tu t’employer, dans la mesure de tes moyens, à combattre ces fléaux. »

L’exploration intérieure est, comme dans beaucoup de ses autres écrits, au cœur de cette œuvre de théâtre. C’est la voix que l’on entend parler en nous, cette petite voix intérieure qui essaie parfois désespérément de nous amener à la raison. Mais c’est aussi la voix qui modélise les valeurs auxquelles nous sommes confrontés.

Le dialogue intérieur « incessant » qui secoue notre apathie naturelle ; qui bouscule nos lâchetés et nos lassitudes ; qui nous met face à nos réalités ; qui nous souffle quelques stratégies pour nous ressentir mieux au cœur de notre être profond. En harmonie. Sans masque.

Mon premier contact avec cet auteur. Un contact qui m'a donné envie de poursuivre la rencontre. C'est Flo qui sur son blog "Fragments du paradis" (ici) souhaite fêter les 80 ans de ce grand Monsieur en incitant le plus grand nombre possible à lire et publier un avis sur un des ouvrages de Charles Juliet. Le 30 septembre (c'est à dire aujourdhui), en fin de journée, elle mettra en ligne une compilation des chroniques qui lui auront été communiquées. Ne manquez pas de suivre les liens.

28 septembre 2014

LES ENFANTS DE LA DOUCEUR IMMOBILE - Danielle Berthier & Jean-Marie Berthier

LES ENFANTS DE LA DOUCEUR IMMOBILE

Je pleure pour eux

 

Mon enfant, pourquoi pleures-tu ?
Je pleure pour eux.

Mon enfant, pourquoi pleures-tu ?
Je pleure pour eux, là-bas, seuls, sans moi, sans le
monde, le jour, la nuit, ainsi, toujours.

Mon enfant, pourquoi pleures-tu ?
Je pleure pour les ruisseaux, pour les fleuves, je
pleure pour toute l'eau de la mer, je pleure pour la
lune et pour le soleil qui ne peut pleurer.

Que jamais ne cessent mes pleurs, qu'ils couvrent
le monde, qu'ils tombent au profond des gouffres,
des abysses, sur les bêtes sans âge, sur les sables
balayés inlassablement, sur les fluides, sur le minéral
englouti.

Par les grands fonds qu'ils reposent, au sein des
formes premières.

Mon enfant, pourquoi pleures-tu ?
Je pleure pour la vie, pour la mort qui ne peut
pleurer.

Jean-Marie Berthier


« Les enfants de la douceur immobile m’apparaît comme un requiem dont les thèmes s’imposent et se répondent. Il y a d’abord la douleur, la douleur avant le mot ; et le temps n’apporte pas l’oubli mais une forme de transcendance. Ici nulle religion ne propose sa consolation ni ses illusions d’éternité. Les disparus sont en nous qui sommes au monde. Et dans ce monde nous percevons la trace vive de leur présence…

Ce qui m’émeut avant tout, à l’écoute de cette double voix qui parle de vie, de mort, de douleur en unité, c’est le triomphe final de la douceur sur la douleur. » Jean Joubert, préface (extraits)


J'ai rencontré Danielle Berthier et Jean-Marie au Marché de la Poésie à Paris (Place Saint Sulpice) cette année. Nous sommes restés ensemble quelques longs et beaux instants à partager la douceur de nos douleurs. Un rendez-vous spontané, authentique, qui a résonné en moi, qui a fait écho...

Ce poème, je le dédie à ceux qui vivent et meurent dans le temps sauvage que nous habitons en ce début du XXI° siècle. Je le dédie à Hervé Gourdel, James Foley et Steven Sotloff, et à tous ceux qui perdent leur vie seulement parce qu'ils sont juste ce qu'ils sont.

Je le dédie aussi à Pierre, et à Mireille, et à Jean-Philippe.

24 septembre 2014

ESSENTI'ELLE, pour les Impromptus Littéraires

Le thème d'écriture est, cette semaine : "le voyage d'une goutte". Celle-ci est d'Or.

 


 

plan du quartier en 1850

Essenti’Elle

Elle sort, encore ensommeillée, du métro Barbès-Rochechouart. Il est tôt et frisquet, mais elle est décidée : il est essentiel qu’elle fasse ce pèlerinage.

Traversée du Boulevard de la Chapelle ; la circulation est déjà dense et les klaxons retentissent. À sa gauche, la rue des Islettes dans laquelle elle s’engouffre. C’est la première étape de son circuit. « Je me prends pour le Christ sur son chemin de croix, pense-t-elle, émue. Mais pour moi il n’y aura pas autant de stations ». Oui, c’est en quelque sorte un chemin de croix qu’elle entreprend. Un retour à petits pas sur son passé. Ce passé qu’elle recherche depuis si longtemps et qui, de générations en générations, a été tu, dissimulé, supprimé. C’est à la hauteur du n°12 qu’elle s’arrête.

C’est sinistre ; elle frissonne. Une porte de garage en bas d’un immeuble en béton. Et là, dans l’angle, le gourbi d’un sans-abri. Un pauvre sourire s’esquisse sur ses lèvres. Ce n’est pas comme cela qu’elle imaginait le domicile de sa quadrisaïeule ! Certes, en 1830, il n’y avait ni métro, ni parking. Mais déjà la misère et la pauvreté régnaient dans ce quartier ; elles ont traversé le temps et survivent encore. Pas de trace, non plus, du lavoir dont elle a récemment découvert l’existence du temps de son ancêtre. Mais une place. Bétonnée, elle aussi. Déserte.

Ce quartier ne lui dit rien qui vaille, on y sent le dénuement, l’impécuniosité.

Elle sort de son sac le plan qu’elle a retrouvé au fond d’une armoire, dans la datcha de ses grands-parents. Il est daté de 1850. Il ressemble à un vieux parchemin. On pourrait la croire occupée à une chasse au trésor !

Elle tente de se repérer, de faire le lien entre le passé et maintenant. C’est pour cela qu’elle est venue ici. Établir un pont entre sa lointaine Russie et ce quartier de Paris Le pont de son histoire. Elle se sent perdue, minuscule goutte dans une heuristique complexe et secrète. Clandestine. Inavouée. Obscure.

Elle s’égare, s’affole, dans ces rues enchevêtrées. Elle avance, revient, repart… cherche la plaque sur le mur qui lui dira qu’elle est arrivée chez elle, enfin. Elle ne veut pas demander son chemin, persuadée que son sang parlera, que l’objectif sera atteint. La mission qu’elle a promis à son fils d’accomplir quelques jours avant qu’il ne meure.

Soudain. « Rue de La Goutte D’or ». C’est là. C’est là qu’Anna Coupeau, en 1852, est née. Anna, dite Nana, son arrière-arrière-grand-mère née de l’union de Gervaise Macquart et de Coupeau. Nana, qui lors de son séjour en Russie, en 1869, avait donné naissance à une fille où elle l’avait abandonnée, l’année suivante, pour retrouver, à Paris, son fils Louiset et le suivre dans la tombe atteinte de la variole qu’il lui avait transmise.

Elle a retrouvé son origine.

Littér’auteurs – 2014/09/23

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22 septembre 2014

LA PORTE DES ENFERS - Laurent Gaudé

LA PORTE DES ENFERS - Laurent Gaudé

La porte des enfers
Laurent Gaudé
Acte Sud (Babel) - 29 mai 2010
Poche, 266 pages

 

Ainsi le Paradis n’existerait pas pour nos défunts, même les plus vertueux ? Ainsi, tous, emmenant avec eux une partie de nous, seraient inéluctablement condamnés à affronter de terribles épreuves souterraines, avant que l’oubli terrestre ne les engloutisse dans la mort ultime ?

C’est la thèse que Laurent Gaudé défend dans ce somptueux roman. Et cette thèse m’a conduite dans une réflexion profonde et intime sur le rapport que nous pouvons avoir avec la perte et le deuil.

Naples. La mort violente d’un enfant de six ans, tué d’une balle perdue au cours d’un règlement de compte mafieux, fait basculer la vie de ses parents. Un tel sujet aurait pu faire verser le texte dans un mélo poisseux et larmoyant, où il aurait pu être question de vengeance, d’incommensurable affliction, de prostration hébétée. Ces thématiques, omniprésentes, Laurent Gaudé les prend à contre-pied et leur donne une amplitude symbolique « Extra-Ordinaire ». Hors du rationnel, et pourtant si proche des bouleversements qu’impose un tel déchirement.

S’inspirant du mythe d’Orphée, le romancier emmène le père jusqu’au lieu où erre l’ombre de son enfant. Dans « les enfers », et non dans « l’enfer » embrasé de notre traditionnelle théosophie. Dans un lieu où les ombres des morts, avant leur évanouissement suprême, vaguent de salles en salles, implorant que le souvenir des vivants les maintiennent hors de la dissolution absolue.

Une thèse sur la perte et le deuil ; une thèse sur la mémoration, aussi.

Les personnages de ce roman sont un compendium de l’existence : un père, une mère, un enfant, un prêtre réprouvé par les Hautes Autorités Ecclésiastiques, un « professore » homosexuel à la limite de la pédophilie, un travesti extravagant et empathique, un tenancier de bar un peu sorcier…

Une seule femme, la mère. Synthèse du don de la vie et de la faculté d’oubli. Son rôle m’a quelque peu étonnée, d’ailleurs. Lorsqu’elle décide – choisit – d’oublier. D’oublier son enfant, d’oublier sa propre vie, de s’oublier. Surprise que Laurent Gaudé ne lui ai pas attribué le statut de gardienne de la mémoire de son fils. Après avoir exigé de son mari qu’il venge la mort de leur enfant ou qu’il le lui ramène, après avoir constaté qu’il ne peut accéder à sa demande, après avoir lancé sa malédiction, elle partira sur le chemin de l’oubli, du déni, du reniement et de la renonciation.

Le rôle des hommes de ce roman est prééminent : au fil du roman, ils s’élèvent en puissance au-dessus de ce et ceux qui les entourent. Le père, personnage central, porte le souvenir de son enfant dans la culpabilité : il a besoin de rédemption, il a besoin de participer au salut des mânes de son fils par l’expiation. Ses compagnons de quête, des silhouettes de l’ombre : le succédané d’une société anonyme, clandestine, androgyne.

Jamais je n’aurais lu ce fantastique ouvrage si Isabelle (son blog est ici) ne me l’avait offert pour mon anniversaire. Ni le titre, ni le thème, ni la couverture ne m’auraient engagée ne serait-ce qu’à le feuilleter. Je la remercie d’avoir forcé ma porte, de m’avoir emmenée sur les rives du Styx, et de m’avoir permis d’en revenir, fortifiée.

21 septembre 2014

SILVIA BARON SUPERVIELLE : Autour du vide

BARON SUPERVIELLE Autour du vide

 

j'écris encore

avec la corde
du corps 
sur l'abîme

comme avant
de lâcher
le vide

18 septembre 2014

NOCTU'ELLE pour les Impromptus Littéraires

Noctu’Elle

 

 

isabelle-femelle papillon

Isabelle Noctuelle, éblouie par l’obscurité de la chambre, se sent portée vers une trouble clarté aux contours imprécis. Elle se cogne contre la vitre, meurtrit ses ailes, relance sa quête improbable vers la nitescence enténébrée ; s’abat, étourdie, sur une bordure de fenêtre pruinée d’années d’abandon. Elle s’ébroue, commotionnée. Erre, désemparée, sur le rebord de la tabatière. S’empêtre dans le canevas englué d’une toile arachnéenne. Sa flamboyance de vitraux de soleil couchant, s’agite, éperdue.

Isabelle Noctuelle est posée.
Là.
Scrute, à petites impulsions.
Pose une patte gracile.
Palpe.
Masse.
Pelote.
Sonde.
Se décide à explorer.
Tourne le dos à la lumière.
Heurte de ses flagelles une étrangeté : glaciale, austère, inerte.
Sensilles en alerte, elle furette.
Elle chasse quelques grains de poussière pour s’approcher au plus près de la matière de cette saugrenuité.
C’est glissant,
c’est glaçant.
C’est sombre.

Et pourtant elle distingue un reflet. Elle parvient malaisément déployer à nouveau sa voilure chamarrée. Ne se tourne surtout pas vers la lumière qui l’attirerait irrésistiblement. Il faut qu’elle sache ce qu’est cet objet.

Isabelle Noctuelle est rentrée dans l’objet.
Elle étouffe,
s’asphyxie,
s’étiole,
se brise,
suffoque,
se noie.
Sombre.
Succombe.

Littér’auteurs - 2014/09/17

« Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire
Des hommes, dans le coin d’une sinistre armoire
Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé,
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

Je serai ton cercueil, aimable pestilence. »

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Le Flacon »


IL

La contraine d'écriture était, cette semaine d'inspiraton photographique. Et c'est ce superbe papillon nocturne, l'Isabelle (ou papillon vitrail) qui m'a fait découvrir ces lieux, que Charles Baudelaire semble, lui aussi,avoir visités.

14 septembre 2014

BÉATRICE ARNAUD-GORECKI : À l'épée de l'encre - Dimanche en poésie

À L'ÉPÉE DE L'ENCRE - BÉATRICE ARNAUD-GORECKI

J'ai pris racine
dans le vent

et

je n'ai plus aucun
nulle part


où aller

 

 

BÉATRICE ARNAUD-GORECKI 
À l'épée de l'encre 
Éditions littérales (2010)

13 septembre 2014

Immort’Elle’s, pour "Les plumes", d'Asphodèle

 

LES PLUMES

 

Immort’Elle’s

 

Pas de regrets. Non. Surtout pas de regrets, se dit-elle.

« Je ne vais pas stocker les souvenirs, comme lorsque, fillette pleine d’espièglerie, je stockais les pots de confiture vides qu’avec jubilation j’avais subtilisés à ma grand-mère. Elle fourrageait dans tous les placards à leur recherche, pendant que, dans la marmite en cuivre, bouillonnait le sirupeux jus des fruits qu’elle m’avait obligée à aller ramasser. Et de sirupeux, le mélange devenait visqueux, poisseux, pour mon plus grand bonheur. Je suivais d’un œil attentif l’immédiate caramélisation de la marmelade pendant que grand-mère, maugréant, prospectait en vain toute la maison. Elle mettait cette confusion sur le compte de son âge ; disait qu’elle perdait la mémoire. Et pendant ce temps-là, la compotée devenait inconsommable. Une petite vengeance ».

Pas de regrets. Non. Surtout pas de regrets, se dit-elle.

 « Je ne vais pas raviver l’image de cette myriade d’hélianthes découverte un jour de flânerie, au détour d’une forêt. Le bleu cosmique capelait la marée flavescente ; l’ocre somptueux de cet océan imprévu m’avait emplie d’allégresse, m’avait offert un regain de fringance dans un moment de ma vie où la tempête faisait rage. Un instant d’ivresse qui m’avait ramenée à la sagesse, et m’avait fait respirer de soulagement ».


 Pas de regrets. Non. Surtout pas de regrets, se dit-elle.

Insomniaque
Telle une agrypnie déroutée
elle cherche le repos.

La lune et le soleil se sont mutuellement convoqués
Pour offrir à la noctambule désorbitée
qu’elle est devenue
un dépaysement complet.

Foin des verrines secrètement barbotées,
foin des tournesols lumineux. 

C’est dans une brume énigmatique
qu’ils entrainent
son errance.

Elle se laisse conduire
Sans question.
Sans pensée.

Ses pieds
s’enfoncent
doucement
inexorablement
dans
la
boue
du
marais.

Elle ne cherche pas à s’en dégager.

Elle avance.
Lentement.

Le sourire aux lèvres.


 Pas de regrets. Non. Surtout pas de regrets, se dit-elle.

Elle prête l’oreille au boulevari de la nuit qui sourd, silencieuse et ouatée. Une ombre subreptice accompagne son ambulation, qui lui rappelle une réplique de M le maudit : « Toujours, je dois aller par les rues, et toujours je sens qu'il y a quelqu'un derrière moi. Et c'est moi-même ! Quelquefois c'est pour moi comme si je courais moi-même derrière moi ! Je veux me fuir moi-même mais je n'y arrive pas ! Je ne peux pas m'échapper ! ». Une rainette clabaude soudain, entraînant un tintamarre de coassements dissonants. Un bond, un plouf. La lune d’eau trémule à peine. Et…

rien.


Il y avait des mots imposés (23) et des mots suggérés (14), chez Asphodèle (clic sur son blog) cette semaine. Une récolte sur le thème "Les humeurs du jour".

Tous les mots imposés figurent dans ce texte :

Regrets, engranger, boue, repos, découverte, hélianthe, regainbond, imprévus, recherche, espièglerie, confiture, allégresse, jubilation, noctambule, brume, respirer, dépaysement, magnifiquebleu, marais, maudit, myriade.

Et j’ai emprunté dix des termes suggérés (soulignés) :

Rien, sourire, montagne, déménagement, soleil, question, sagesse, océan, ivresse, tempête, lune, rêve, emménager, mer

 

Martine "Littér'auteurs" - 2014.09.10

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