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Littér'auteurs
22 mars 2014

LIVRE MYSTÈRE ~ Écrivain mystère

livre mystère

Un ouvrage-mystère, à l’initiative de Jérôme, m’est parvenu, il y a peu. Un livre bien scellé, où toute indication d’expéditeur, d’éditeur, de date, d’auteur et de titre bien sûr est camouflée. Pas neuf, pages un peu jaunies, pas épais, juste une centaine de pages, pas grand, format livre de poche. Un livre posté de Beauvais… mystère, mystère….

Je soupçonne bien Jérôme et sa « loustic-band » d’être pour quelque chose dans cet envoi. Mais bon.

Posté de Beauvais, disais-je. Et dont l’intrigue de déroule à… Beauvais (ou dans les parages). Je situe ce récit dans les années 50 ou immédiatement postérieures (la TV noir et blanc est encore à l’honneur). Mhummm… quel(le) est cet(te) expéditeur(trice) qui souhaite me faire découvrir l’histoire de sa région (de naissance ou d’adoption) ?

Parce que d’histoire-terroir il est question (pas péjoratif). L’histoire « simple » d’un instituteur remplaçant tout frais bachelier, qui est administrativement contraint de quitter le pays d’oc et se retrouve dans celui d’oïl. Pas bien sûr d’être motivé, tant par la fonction qu’il va occuper que par la région où il va devoir demeurer, le jeune homme ; 18 ans et, comme il le dit, l’âme tourmentée.

Ce parcours, personnel et professionnel, dans une Picardie qu’il va devoir apprivoiser et qui devra l’adopter, va être relaté à petites touches narratives, descriptives, actancielles. Et, hors de l’histoire-terroir, le juvénile candide va découvrir ici, l’amitié (avec un jeune garagiste), la liberté (grâce à sa voiture brinquebalante), les amourettes des salles de cinéma, et le sentiment d’amour. Quant à sa rencontre avec l’enseignement, elle est pour le moins fastidieuse. Les minois « enchifrenés » de ses élèves ne l’émeuvent guère et leurs difficultés à ingurgiter les premiers rudiments de la lecture le laissent froid. Jusqu’au jour où… l’un des écoliers, Michel, retient son attention. Ce serait plutôt la maman de Michel qui … Autour de cet enfant, dont la santé chancelante entrave la progression scolaire, va se nouer entre la mère et l’enseignant une intrigue qui, certes, restera platonique, mais qui n’en sera pas désincarnée pour autant. L’exaltation du jeune homme à la vue et au contact de cette femme, belle et sensuelle, est subtilement dépeinte, comme une toile impressionniste qui se dévoilerait lentement.

Je suis absolument sûre de n’avoir jamais rien lu de cet auteur. Et j’affirmerais volontiers qu’il s’agit d’UN auteur. La plume me semble très masculine. Ce roman m’a fait faire un formidable retour dans le passé. C’est à la fin des années 60 que j’ai quitté l’Aude (pas natale, comme celle du personnage, mais l’Aude quand même), pour être propulsée, à 20 ans tout juste sonnés, dans le Pas de Calais, nantie d’une nomination de remplaçante, avec pour seul bagage un baccalauréat (et un livret de famille qui me conférait le statut de « madame »). Et mon insertion n’a guère été plus facile que celle de ce jeune enseignant.
Cependant, cette lecture m’a seulement « intéressée » ; pas émue, pas passionnée, pas captivée. L’écriture est déliée, les intrigues s’enchaînent habilement, le style est distingué. Mais j’ai ressenti comme une sorte de « fadeur », de manque de relief, dans ce texte qui me semble être un témoignage sur les régionalismes de la moitié du siècle dernier, sur les partis pris provinciaux, J’espère que l’auteur, s’il est toujours de ce monde et s’il lit ma chronique, ne me tiendra pas rigueur de faire une analogie entre son livre et celui de Germaine Acremant, « Ces dames aux chapeaux verts ». Et aussi, celui de Marcel Pagnol, dans « La gloire de mon père », qui, d’ailleurs, est cité dans cet opus.

Une expérience intéressante et amusante que cette lecture à l’aveugle. Je n’ai pas encore soulevé le voile (ni déchiré la couverture), parce que j’attends de mes lecteurs des propositions d’auteurs et/ou de titre. Histoire de savoir si elles résonnent dans ma bibliographie personnelle.

Alors, à vous les hypothèses… jusqu’au 29 prochain.

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20 février 2014

LA COLLECTE DES MONSTRES – Emmanuelle Urien

LA COLLECTE DES MONSTRES - URIEN

La collecte des monstres
Emmanuelle Urien
Nouvelles, Gallimard, 2007
160 pages

 

 

 

J’ai tellement aimé « Court, noir et sans sucre » (clic) que j’ai été prise d’une irrésistible pulsion de poursuivre ma découverte des textes d’Emmanuelle Urien. Je ne regrette pas, mais pas du tout. Mais je rassure mes lecteurs fidèles : après ce recueil, on va faire une pause.

La collecte des monstres. J’aime bien le titre. Et après avoir fait la connaissance de ceux de ma précédente lecture, je m’attendais à pire encore. Eh bien, ce n’est pas vraiment ça. Et les monstres de ce recueil ne sont pas, pour la plupart, si monstrueux que cela.

Bien sûr Emmanuelle Urien trempe sa plume dans l’acide, dans le sang, et parfois dans les contradictions de l’humain. Et j’ai ressenti pour certains « monstres » une petite pointe de dilection. Comment dire ? Un sentiment que même si on n’excuse pas l’acte ignoble commis par l’un des protagonistes, on peut comprendre.

Quoique… « L’homme qu’il me faut » n’est pas tout à fait celui pour lequel je fantasmerais ! Et puis, en parcourant à nouveau le recueil pour rédiger mon billet, je me dis que j’ai surtout retenu les persécutés : Lilas, cette jeune étudiante, contrainte à se prostituer. Juliette, dans sa quête amoureuse. Aminata, petite fille victime d’une société aveugle et meurtrière. Bahtiyar, la « tête de turc ».

Coup de cœur pour deux des nouvelles.

Mergitur. Une équivoque en clair-obscur.

Converti en grammes. Ce n’est qu’à la fin du texte que j’ai compris où s’était retrouvé ce comptable et ce qu’on lui imposait de dénombrer.

Lire deux recueils d’Emmanuelle U. à la suite conduit forcément à s’entraîner à rechercher la « ficelle » narrative et à vouloir anticiper la chute. Je suis une lectrice un peu gobe-mouche, sans doute. Parce qu’en fait d’extrapolation, je suis souvent restée médusée !

10 février 2014

COURT, NOIR, SANS SUCRE - Emmanuelle Urien

COUT NOIR SANS SUCRE URIEN

Court, noir, sans sucre
Emmanuelle Urien,
Première édition : L'être minuscule, 17 décembre 2005
Éditons Quadrature, revue et augmentée 2010
112 pages

 

 

ASSISTANCE TECHNIQUE (extrait du recueil)

Voilà trois dossiers qu’elle présente, Mélanie. Trois dossiers qui sont refusés. Trop jeune, Mélanie Bix.
Le lecteur n’oubliera pas son nom, pas plus que cette femme qui va l’accompagner.

C’est à la quatrième tentative que la demande de Mélanie Bix est acceptée.

Alors, elle prépare son sac de voyage, alors elle vérifie si ses papiers sont en ordre, alors elle prend le train, alors elle parvient à destination.

Alors sa volonté se réalise.

Quelques pages extraites d’un recueil de nouvelles, même pas 8/112. Les huit premières pages. Celles que l’on lit, vierge d’idées préconçues, dont on n’anticipe pas la chute.

À 19h 30, on sait, on comprend, et on prend une magistrale claque, on manque d’air. Sidéré, on relit, à l’affût de l’indice qui s’est faufilé.

Pour ma part, c’est ainsi que j’ai vécu cette lecture, courte. Cette lecture, noire. Cette lecture, sans sucre. Sans douceur, serrée comme un café à l’italienne, qui s’empare de la gorge, un peu âcre, mais avec la bonne dose de succulence pour qu’on la déguste et s’en régale. Moi qui suis plutôt amateu »se » de thé, je ne connais qu’un de ces breuvages théiné qui serait référence : le Pu Erh, qui donne une liqueur à la belle robe rouge très foncée à la saveur amère et astringente… que j’aime… sans sucre.

« Assistance technique » appartient à une série de quinze nouvelles, toutes en tension. Empreintes d’une tranquille noirceur, décapantes… c’est, presque bizarrement, pas vraiment dérangeant. Du bel art dans l'écriture et dans le pouvoir narratif.

C'est à Flo (*) que je vais transmettre ce billet, puisqu'il participe à la deuxième semaine du "mois de la nouvelle", saison 3.


(*) Clic pour suivre le lien


 

6 février 2014

L'HOMME QUI AVAIT SOIF, Hubert Mingarelli

L'homme qui avait soif

L’homme qui avait soif
Hubert Mingarelli
Roman, Stock, janvier 2014, 180 p.

 

 

 

 

 

 

Hisao court. Court à perdre haleine. Très vite le lecteur se demande s’il court pour atteindre quelque chose, ou s’il court pour échapper à quelque chose. Il n’est que son irrépressible besoin de se désaltérer qui l’arrête quelques instants dans sa trajectoire.

Au cœur de cet entre-deux, les pensées d’Hisao vont et viennent de son passé à son futur. Deux personnages habitent son esprit : Takeshi et Shigeko. Le premier, un homme, son ami, avec lequel il a vécu le plus effroyable de sa vie. La seconde, sa promise, à laquelle il veut apporter son cadeau de mariage.

1946. Japon. Occupation américaine. Hisao est soldat. Hisao était soldat.

Le roman dernier né d’Hubert Mingarelli plonge dans cette atmosphère si particulière qu’il sait camper avec virtuosité. Il est question d’homme, il est question d’enfermement, il est question de détresse, il est question d’espoir, il est question d’amitié, il est question de mort, il est question d’amour. Et le trait est précis. Fin. Achevé. Poétique. Perçant.

Il est question d’Hubert Mingarelli.

23 janvier 2014

DÉSORDRES, Elsa Montensi

2014

Désordres, lettre à un père
Elsa Montensi
L’Harmattan – Amarante, août 2012
82 pages, 12 €

 

 

 

 

 

Désordre : manque d’ordre, égarement, mauvais état, dérèglement des mœurs, querelle…

Les différents sens du mot conviennent tous exactement à l’âme de ce texte chargé d’émotion, de souffrance, d’incompréhension, d’indulgence. Désordres, une lettre autobiographique d’une jeune femme à son père.

« Arriver sur terre, c’est arriver dans une famille que nous ne connaissons pas, qui peut nous rester étrangère des années durant. C’est devoir s’en remettre à des êtres apeurés, bancals, mettre notre vie entre leurs mains tremblantes. On ne se choisit pas, on nous impose les uns aux autres sans même nous présenter. Il arrive que la véritable rencontre ne se produise jamais. Je n’ai pas su me frayer de chemin pour venir jusqu’à toi, tu n’as pas su venir à ma rencontre. Chaque jour qui passe nous rapproche du moment où le rendez-vous manqué s’inscrira de manière irréversible dans notre histoire. Qu’y aura-t-il de plus douloureux ? Le manque, la nostalgie, ou les paroles interdites, l’amour retenu prisonnier ? Aussi sûrement que les coups reçus, chaque élan retenu nous oppresse. Ce que nous n’aurons pas su donner restera perdu. Définitivement ».

Quelle famille a offert cet homme à sa femme et à sa fille, alors que le mari et le père se cachaient derrière un homme qui n’aime que les hommes ?

Elsa Montensi écrit à son père ; elle dit, elle se dit. C’est troublant, c’est douloureux, c’est dérangeant, c’est éprouvant.

« Autres allers retours. Entre les pages d'encre et l'extérieur. Je découvre la vie, me rencontre, me reconnais dans les livres. La musique des mots, espace vital où je reprends mon souffle, puise des forces pour aller de l'avant. Je les attrape au vol, m'en saisis, les brandis comme un étendard. La littérature devient l'épaule sur laquelle je m'appuie pour affronter le monde ».

Une lettre sublime. Poétique aussi.

« Nos vies sont faites de moments éphémères, fugaces, qui nous glissent entre les doigts. Ce qui est ne sera bientôt plus ».

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16 janvier 2014

Lecture en cours : DÉSORDRES, Lettre à un père. Elsa Montensi

DÉSORDRES

14 janvier 2014

LA LETTRE DE BUENOS AIRES ; Hubert Mingarelli

Mingarelli La Lettre de Buenos Aires

La lettre de Buenos Aires, Hubert Mingarelli
Nouvelles
Buchet-Chastel, 2011, 175 pages, 15 €
Prix de la Société des Gens de Lettres 2011 de la nouvelle.

 

 

 

 

Neuf hommes. Neuf hommes solitaires. Neuf hommes dans le silence. Neuf hommes dans l’errance. Neuf hommes qui ont peur, qui souffrent, qui culpabilisent.

Neuf hommes « à la Mingarelli ». Tendresse, regrets, solitudes, souvenirs. Bien sûr le passé de matelot baroudeur de l’auteur surgit à chaque entrelacs de ce recueil. Mais rien de pesant, rien qui ne fasse penser à une auto-psychothérapie, ni à une autobiographie.

C’est un vieux bourlingueur qui, dans le titre éponyme du recueil, meurt à Buenos Aires avant d’avoir pu envoyer une lettre à un fils qu’il n’a jamais vu. « Un jour, je te laisserai parce que j’ai un fils. Je ne l’ai jamais vu. Je devrais repartir, mais pas demain. Je voudrais connaître la vie, mais j’attends encore. […] Je lui ai écrit une lettre quand je suis arrivé à Buenos Aires. Elle est restée dans ma poche. Un jour, je l’ai perdue. J’en écrirai une autre ».

Ce sont deux hommes que l’on devine en fuite sur une plage, traqués. Un autre, le narrateur, les observe du haut du toit de sa maison. Cette scène va pimenter un peu sa journée, parce que seule « une souris mélancolique [le] regarde pendant [qu’il] fait la vaisselle » […] « Je n’ai personne à qui parler ici, alors je parle à la souris ».

Ce sont deux hommes, soldats en déroute, dont l’un est le conteur, qui, une glaciale nuit d’exode se trouvent obligés de partager un abri de fortune, un maigre repas et surtout se voient condamnés à communiquer. « J’aimerais pleurer une fois avant d’arriver chez moi, mais je n’y arrive pas […]  Je ne veux pas rentrer chez moi avec tout ça à l’intérieur. Je voudrais m’en délester un peu avant d’arriver ».

C’est la fugacité d’une communion entre deux hommes. « Je pensais que rien ne se perd et qu’il vaut mieux dire les choses mille fois plutôt qu’une. Je savais que le dense feuillage d’un arbre est fait de dizaines de milliers de petites feuilles tendres et fragiles, et que sans les autres, une seule d’entre elles est vite emportée par le vent ».

C’est un marin qui choisit, à la fin de son engagement, de s’enfoncer dans la forêt pour y vivre le reste de ses jours. « Et c’est ainsi que, chargé comme une mule, je m’enfonçai dans la forêt, fuyant les hommes et l’océan, le cœur léger » […] « Je pensais avant même d’avoir dressé ma tente, que j’étais enfin rentré chez moi ». Mais la forêt n’est pas si dépeuplée qu’il le pense. « J’aurais donné mes idées sur la vie et tout mon matériel pour retourner vers ce que j’avais fui » […] « Mes dernières semaines dans la forêt ressemblent aujourd’hui à une longue méditation sur le courage ».

Neuf histoires d’hommes qui tour à tour prennent la parole, alors que le silence les entoure, les étreint jusqu’à l’oppression, jusqu’à l’angoisse. « Qui se souviendra de nous ? ». Neuf histoires d’hommes qui se croisent, alors que la solitude les habitent, dont les destins se nouent dans le hasard d’une rencontre, puis se dénouent pour que chacun poursuive sa quête jusqu’au bout de la vie.

« Moi, j'étais malheureux. Pour ne plus y penser, je m'assommais la tête en lisant des histoires où jamais personne n'est malheureux à bord d'un cargo qui pourtant sombrera tôt ou tard ».

11 janvier 2014

L'HOMME IDÉAL (EN MIEUX) ; Angela Morelli

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L’homme idéal (en mieux), Angela Morelli
Harlequin, 2013, à télécharger

 

 

 

Soit une gentille petite dame, pas mal roulée, pas trop inculte (elle est quand même prof de français), entourée de quelques bonnes copines (de bringue, de confidences), mère d’une adorable petite louloute de 9 ans, et… banco ! divorcée !

Soit un très beau mâle, séduisant en diable, pas mal lettré, père d’un grand garçon, et… banco ! veuf !

Mettez les ingrédients dans un lit, insérez quelques évènements de la « vraie » vie (vous avez le choix entre quelques bribes d’internet, des échanges de textos, un site de rencontre, un frigo désespérément vide, une chevelure indomptable, une bronchite virale, quelques scènes un peu chaudes)  saupoudrez de quelques épices érotico-aphrodisiaques, nappez le tout de sentimentalisme resplendissant, et… banco ! vous obtenez un roman tout plein de beaux rêves.

Bon, sérieusement. Il est bien croquignolet ce petit texte. Les protagonistes sont adorables (en mieux). Même si j’ai trouvé quelque futilité aux dialogues, ce n’est pas mal écrit du tout. Ma foi, pour se délasser les neurones, ça peut le faire !

9 janvier 2014

LA NUIT TOMBÉE ; Antoine Choplin

PRIPIAT

Quand, en 1986, un des réacteurs de  la centrale de Tchernobyl a explosé, Gouri, le poète, a, comme les cinquante mille habitants de Pripiat, été contraint de quitter précipitamment la zone contaminée. Gouri, sa femme, sa fille Ksenia. Ils sont partis vivre à Kiev. Depuis, Gouri est taraudé par le souvenir de son appartement abandonné aux pillards et au césium.

Tu sais bien qu’il n’y a plus rien à voir. Sans parler du danger [dit Vera]
L’appartement, continue Gouri. J’ai envie de revoir mon appartement. De récupérer deux ou trois choses, pourquoi pas.

Alors, deux ans plus tard, il arrime une remorque à sa moto et, au crépuscule, refait la route à l’envers. Un peu plus de cent kilomètres. À mesure qu’il se dirige vers la ville fantôme, le néant s’impose, la vie se raréfie. Et les « signes » apparaissent, sous forme de courtes réflexions des habitants que Gouri rencontre en chemin.

Ce qui est sûr, c’est qu’avec tous ces trafics, on en raconte de belles […] Sans compter toutes les saloperies que ça nous ramène de là-bas.

Il y en a qui disent qu’il faut pas boire le lait [des vaches]. Qu’il est contaminé. Et à côté de ça, y’en a d’autres qu’en boivent tous les jours en disant que tout ça c’est des balivernes.

Le paysage se transforme.

Il observe les maisons désertées de part et d’autre de la route. Certaines fenêtres ont été brisées, des portes défoncées.

Et ce n’est pas la pause qu’il fera chez ses amis Véra et Iakov qui atténuera le sentiment de violence silencieuse qui pèse sur tous et sur tout. Iakov s’approche de la mort, dans une maisonnette, dernier vestige de l’humanité vivante d’un village frontière avec la zone interdite.

Il a perdu ses cheveux et la peau du crâne est diaphane, laissant voir en plusieurs endroits l’épaisse saillie des veines. L’un de ses yeux est presque fermé, comme celui d’un boxeur après un combat. Les joues sont creuses. Les lèvres curieusement retroussées, les mâchoires crispées.

Village presque complètement vidé de sa population. Gouri passera la soirée avec Véra, Iakov en proie à des souffrances intenables, Piotr, devenu mutique, dont le père est mort en 1986 et la mère a disparu (peut-être est-elle morte aussi), Kouzma et un couple de voisins. Autour d’un repas traditionnel, réchauffé par quelques verres de vodka.

Même Vera qui semble en bonne santé dit le chaos nucléaire.

Et mon visage buriné au césium de la campagne, qu’est-ce que tu en penses ?

Avec Iakov, Gouri va remémorer les évènements de ce ravage, de ce cataclysme. Sans pathos.

Moins d’une semaine plus tard […] deux camions militaires sont arrivés ici au village. […] ils recrutaient des hommes pour nettoyer la zone. […] s’engager pour ce travail, c’était ni plus ni moins faire son devoir de citoyen […] surtout il a parlé du travail de patriote que c’était et de la reconnaissance que ça nous vaudrait […] il a expliqué le fonctionnement d’un dosimètre en disant qu’ n’y en aurait pas pour tout le monde.

Il n’y a pas longtemps, quelqu’un m’a dit que là-bas, certaines nuits, les arbres se mettaient à rougeoyer […] J’ai vu ça de mes propres yeux. Un truc étrange. Tu regardes ça et même si t’as une grande gueule je peux te dire que ça ferme le clapet […] et ça te met aussi dans un drôle d’état.

On nous a emmenés dans un champ […] près du village de Tchestoganivka […} je te jure que c’est exactement ce que [le chef] a dit : les gars, on va enterrer ce champ […] enterrer la terre.

Pour évoquer les moments que Gouri va partager avec Iakov, Vera et les autres, la plume d’Antoine Choplin s’est trempée dans cet univers lugubre, sordide, sépulcral.

Si t’avais vu ça. Des villages entiers. Enterrer la terre, évacuer les gens… Des fois, je me suis demandé si on allait pas nous demander de les enterrer eux aussi, avec le reste.

Il a dit t’as vu ça la pluie. On dirait qu’elle est noire. Et j’ai regardé à mon tour et c’était exactement l’impression que ça faisait. La couleur noire de la pluie, ça je m’en souviens.

Après cette soirée, Gouri va reprendre sa route vers Pripiat.

Comment dire. Au début, quand tu te promènes dans Pripiat, la seule chose que tu vois, c’est la ville morte. La ville fantôme. Les immeubles vides, les herbes qui poussent dans les fissures du béton. Toutes ces rues abandonnées. Au début, c’est ça qui te prend aux tripes. Mais avec le temps, ce qui finit par te sauter en premier à la figure, ce serait plutôt cette sorte de jus qui suinte de partout, comme quelque chose qui palpiterait encore. Quelque chose de bien vivant et c’est ça qui te colle la trouille. Ça, c’est une vraie poisse, un truc qui t’attrape partout. Et d’abord là-dedans. De son pouce, il tapote plusieurs fois son crâne. Je sais de quoi je parle.

Gary va poursuivre sa quête. Au petit matin, de retour chez Vera et Iakov, il est chargé du bien précieux qu’il est allé chercher dans la ville damnée.

… si ça se trouve, [le diable] a installé ses quartiers dans le coin et il est là, à bricoler. Il profite de l’aubaine pour se fabriquer un monde à lui. À son image. Un monde qui se foutrait pas mal des hommes. Et qu’aurait surtout pas besoin d’eux. Ça colle le vertige, ça, quand on y pense. Un monde qui continue sans nous. Hein. (Kouzma).

Un monde qui continue sans nous… Oui. Antoine Choplin propose une vision sans concession d’un monde que ni Dieu ni le Diable ne modifient sans l’assentiment de l’Homme. C’est une « peinture au césium » que l’auteur propose dans ce roman. Mais en filigrane sont les mots, les hommes, les femmes, la nécessité de vivre dans l’urgence, la tendresse.

Des pages qui vont à l’essentiel, qui disent l’Humain au cœur de l’Inhumain intenses, profondes, dignes et simples.

la nuit tombée, Antoine Choplin

La nuit tombée, Antoine Choplin
La fosse aux ours, Août 2012, 122 pages.

 

 

 

 

 

 

 

C'est l'avis de Jérôme qui m'a entraînée dans cette aventure, et je ne le regrette vraiment pas !

13 septembre 2013

LE TRAIN DE 5 H 50, Gabrielle Ciam

Le train de 5

Au petit matin, sur le quai d'une gare francilienne, une femme attend le train qui va l'emmener à Paris. Elle a ses habitudes, auprès des employés, dans le wagon, à la même place. toujours. Elle y poursuit doucement sa nuit, comme la plupart des voyageurs, d'ailleurs.

Un matin, agacée, elle découvre qu'un homme s'est installé sur le siège d'en face. Qui est-il, cet intrus, qui a osé effracter(*) son espace,  sa bulle ? Il somnole. Non. Il semble somnoler. 

À travers les yeux mi-clos de la femme et de l'homme, les regards se croisent, s'enlacent, s'étreignent, se jaugent, se soupèsent. Et le désir naît, en eux, entre eux, sans qu'un seul mot soit échangé. Discrets frôlements de jambes d'abord, puis pressions plus prononcées.

Ce roman, c'est l'histoire d'un libertinage, de la lente et inexorable montée d'un éros entre deux inconnus qu'aucun ne cherche à contenir. De matins en matins, les rendez-vous entre les deux voyageurs précisent l'attrait sensuel qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. Sans échange verbal. Ce roman, c'est un délicat et subtil texte érotique, pas totalement allusif, et assez suggestif pour que l'imaginaire du lecteur entre dans le jeu pygocole. "Ne rien savoir, pas même son prénom, lui plaît. Elle l'observe en silence, et son regard débarrassé de toutes ces choses qu'elle ne sait pas, prend de lui l'essentiel. Elle le tient tout entier dans ses yeux, et jamais elle ne s'est sentie aussi proche d'un homme. Rien ne les attache et, pourtant, voilà que remontent ce trouble, cette envie de lui qui parlent si bien à son ventre".

Mais "le temps des confidences vient toujours après celui des gestes tendres". Et c'est là que s'installe mon propre regret. Pourquoi ces deux-là éprouvent-ils le besoin de se parler, de se présenter l'un à l'autre, de se dire ? Le réaliste prosaïque prend la place de l' éro[man]tique merveilleux. 

Le trait final de ce roman a transformé cette sensuelle rencontre en banale histoire d'amour. Déçue par la chute.

 

(*) dictionnaire latin EFFRINGO

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