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20 mars 2015

L'INSURRECTION POÉTIQUE DU PRINTEMPS DES POÈTES : Nâzim Hikmet

 

Dimanche

C'est dimanche aujourd'hui.
Pour la première fois, aujourd'hui
ils m'ont laissé sortir au soleil
et moi,
pour la première fois dans ma vie,
j'ai regardé le ciel sans bouger
m'étonnant qu'il soit si loin de moi
qu'il soit si bleu
qu'il soit si vaste.
Je me suis assis par terre
plein de respect
et j'ai collé mon dos contre le mur blanc.
Il n'est pas question en cet instant
de me jeter dans les vagues.
Pas de combat en cet instant
pas de liberté et pas de femme
Terre, soleil et moi
Je suis un homme heureux.

Nâzim Hikmet
Dimanche (1938), in C'est un dur métier que l'exil 
Éditions Le Temps des Cerises ; février 2014

 


2015

« Je suis né en 1902 
Je ne suis jamais revenu sur le lieu de ma naissance 
Je n'aime pas me retourner »

Et le « géant aux yeux bleus » ne revint jamais à Salonique...

Ambiance feutrée à Istanbul : Nâzim, enfant, est bercé par la poésie de son grand-père Pacha, un haut fonctionnaire ottoman, et par sa mère, Djélilé, artiste férue de culture française.

Révolté par l'occupation d'Istanbul par les puissances alliées après la première guerre mondiale, exalté par la lutte des paysans turcs pour l'indépendance et enthousiasmé par la révolution d'Octobre, il a tout juste vingt ans quand il part à Moscou, en 1922.

Il retourne en Turquie en 1924, après la guerre d'indépendance, mais, victime de persécutions, car c'est désormais un « rouge », il repart à Moscou en 1926 et multiplie les allers-retours.

Moscou bouillonne alors. Il y fait la rencontre de Maïakovski et des futuristes russes, dont l'influence bouleverse sa poésie, et travaille avec Meyerhold.

Communiste parce qu'il aime tout, passionnément, la liberté, son pays, son peuple et ses femmes, il devient le génie en exil de l'avant-garde turque.

De retour en Turquie, il est condamné en 1938 à vingt-huit ans d'emprisonnement, car il a publié, en 1936, un éloge de la révolte, L'Epopée de Sheik Bedrettin, ou le combat d'un paysan contre les forces de l'Empire ottoman. Il est libéré en 1949 grâce à l'action d'un comité international de soutien, formé à Paris par ses camarades Jean-Paul Sartre, Pablo Picasso et Paul Robeson.

C'est avec ce dernier et Pablo Neruda qu'il partage en 1950 le Prix mondial de la paix. In absentia, car Hikmet, affaibli par une longue grève de la faim ainsi que de graves problèmes cardiaques, ne peut se déplacer à Varsovie, où la cérémonie a lieu.

« Une bien triste liberté »

 

Hikmet est constamment surveillé. Il échappe miraculeusement à deux tentatives de meurtre, mais ne parvient pas à être exempté du service militaire, qu'on lui demande d'effectuer à cinquante ans. C'est la guerre froide, et il milite contre la prolifération de l'armement nucléaire. Que faire si ce n'est fuir, se réfugier en Union soviétique, laissant femme et enfants ?

Devenu membre très actif du Conseil mondial de la paix, le poète chante l'Internationale, mais ne tait pas son rejet du stalinisme. Le « communiste romantique » célèbre la lutte, synonyme de vie, une liberté que ronge, selon lui, l'autorité.

Citoyen polonais suite à la perte, immense, de la nationalité turque, il voyage partout, pour tromper l'exil. En Europe, en Afrique et en Amérique du Sud seulement, car les Etats-Unis lui refusent un visa.

« Malgré le poids dans ma poitrine, 
Mon coeur bat toujours avec les étoiles lointaines »

Nâzim Hikmet meurt à Moscou en 1963. Son coeur a cessé de battre la mesure de la perte, mais le vent souffle toujours entre les arbres doux d'Anatolie, sur les visages de ses femmes, qu'il a aimées aussi fort que le monde.

 


2015

17e Printemps des Poètes 

 

7 au 22 mars 2015

 

 

 

L'INSURRECTION POÉTIQUE

 

 

 


"La poésie peut encore sauver le monde en transformant la conscience" Lawrence Ferlinghetti

 

Fait de langue, la poésie est aussi, et peut-être d'abord, « une manière d'être, d'habiter, de s'habiter » comme le disait Georges Perros. 
Parole levée, vent debout ou chant intérieur, elle manifeste dans la cité une objection radicale et obstinée à tout ce qui diminue l'homme, elle oppose aux vains prestiges du paraître, de l'avoir et du pouvoir, le voeu d'une vie intense et insoumise. Elle est une insurrection de la conscience contre tout ce qui enjoint, simplifie, limite et décourage. Même rebelle, son principe, disait Julien Gracq, est le « sentiment du oui ». Elle invite à prendre feu. 

Jean-Pierre Siméon, directeur artistique du Printemps des Poètes (il faut aller ici

 

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Commentaires
C
Ce que tu nous dis sur le poète associé à cette poésie qui dit le bonheur de revoir le soleil, la beauté de la liberté, souligne la tragédie de cette vie brisée ...
A
Ton billet sur cet auteur de l'exil est aussi beau que le poème ! J'ai envie d'en lire plus ! ;) Moi non plus je ne suis jamais retournée là où je suis née, je crois que ça me manque !<br /> <br /> Sinon je pense à l'âge où il est mort (encore jeune) , je pense à ce qu'il a dû subir en 11 ans de geôles turques... c'est tragique !
W
Quel poème! Sublime
A
J'ai feuilleté ces jours-ci un recueil de poésie de Nazim Hikmet et ai lu le poème que tu cites aujourd'hui et qui en dit long sur la privation de liberté. Encore un destin fracassé par l'histoire.
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