LES PLUMES D'ASPHODÈLE : Impossibles retrouvailles
Reviens ! Veux-tu !
« Ma chérie,
Depuis que tu as laissé ceux qui t’aiment dans le désespoir en partant sans un adieu, nous vivons sans joie. Reviens, veux-tu !
Je t’embrasse.
Maman »
Elle ne s’attendait pas à cela, en ouvrant l’enveloppe anonyme qui avait été glissée sous la porte de son appartement. Comment sa mère avait-elle pu retrouver son adresse ? Qui avait été chargé de cette missive ?
Elle reste là, les yeux dans le vague, quand, absurde et dérisoire, une romance, chantée par Tino Rossi dans les années 1900, la submerge : « Reviens ! Veux-tu ! Ton absence a brisé ma vie ! ».
Son grand-père. Elle, petite fille gonflée d’amour. Lorsqu’il entonnait ce refrain avec allégresse, elle sentait des larmes d’inquiétude monter inexorablement. Comme si l’irréparable allait se produire. Elle ne comprenait pas pourquoi cette émotion l’envahissait. Son grand-père non plus. Tout allait bien pourtant ! Les ripailles mettaient en joie la famille réunie pour ces fêtes…
« Reviens ! Veux-tu ! Ton absence a brisé ma vie ! ».
Comme si la lettre, inopportune, de sa mère lui prescrivait de faire un bilan. Elle a froid, soudain. Son grand-père n’est plus. La petite fille a grandi. Grandi dans une révolte qu’elle a vécue intensément, dans une volonté impitoyable de balayer tout ce qui la rendait heureuse.
« Reviens ! Veux-tu ! Ton absence a brisé ma vie ! ».
Cet ami avec lequel elle avait découvert sa féminité, qu’elle avait laissé sur le quai d’une gare, sans un regard en arrière : leur séparation avait été si facile ! Elle avait tourné le dos. Simplement. Sans qu’un mot ne soit échangé.
« Reviens ! Veux-tu ! Ton absence a brisé ma vie ! ».
Non. Ne revoir personne. Sa vie n’a pas de sens.
« Reviens ! Veux-tu ! Ton absence a brisé ma vie ! ».
Au goulot, elle ingurgite le contenu de la bouteille. Dans sa bouche, le cocktail létal…
« Reviens ! Veux-tu ! Ton absence a brisé ma vie ! ».
Elle brise sa vie.
Martine Littér'auteurs - 2014.07.02
Les "Plumes" chez Asphodèle, c'est, bimensuellement, écrire. Un plaisir que donner sens aux mots. Cette fois, il s'agissait de :
ripaille – revoir – s’embrasser – froid – larmes – famille – fête – allégresse – bilan – amour – quai – adieu – joie – ami – séparation – inquiétude – irréparable – intensément