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Littér'auteurs
22 janvier 2014

Semaine poétique : JEAN TARDIEU (4)

2014

NATURE

 

C'est un oiseau qui s'approche en pleurant
c'est un nuage qui parle en rêvant
un rocher roule pour passer le temps
un roseau s'admire dans le miroir d'un étang
les arbres de la forêt
sont là comme des gens et des gens.
Tout cela fait une foule qui attend,
- Mais l'homme, - absent, absent, absent....

Histoires obscures, Jean Tardieu, 1961

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21 janvier 2014

Semaine poétique : JEAN TARDIEU (3)

2014

LE CAP

 

Dans la contrée où l'âme est profonde,
Je vins pour la première fois,
Triste et seul, à l'âge où le monde
Me sépara de vous et de moi.

D'étranges feux dans l'air grimaçaient,
Mais les sources coulaient pour l'espérance
Et tendre, tendre était l'impatience
Des fruits tombant dans les vergers secrets.

J'entrai, nageant sous les grands nuages,
À jamais loin des tranquilles jours ;
Là-haut, les traits des chers visages
M'abandonnaient à chaque détour.

Quelle nuit tout à coup, mais quel espace !
Je reconnus la voix de toujours
Qui pour moi demeure et par moi passe...
Et quelle puissance, loin de l'amour !

Je laissais mourir et renaître
Et mourir encor la clarté
Moi, je creusais mon obscurité
Et j'apprenais à ne plus être.

Cependant, on murmurait : "L'ombre
Va l'engloutir !" Ah ! j'entends le vent
Répondre par les feuilles sans nombre :
"Cet homme a franchi les postes du temps !"

Accents, Jean Tardieu, Gallimard 1939

20 janvier 2014

Semaine poétique : JEAN TARDIEU (2)

2014

NI L'UN NI L'AUTRE

 

Quoi dire, quoi penser ? Le jour
par son insistance à paraître,
avouons-le, avouons-le,
fatigue ses meilleurs amis.

La nuit, par contre, sournoise,
à tous nos instants se mélange
elle bat sous nos paupières
elle rampe autour des objets :
inquiétante ! inquiétante !

Quant à cette chose sans nom
qui n'est ni le jour ni la nuit,
baissez la voix je vous le conseille
mieux vaut n'en point parler ici !

Monsieur Monsieur, Jean Tardieu, Gallimard, 1987

19 janvier 2014

News : Juan GELMAN est décédé

Juan Gelman

Juan Gelman, poète argentin vient de décéder, le 14 janvier dernier.

Le 4 aôut dernier, je le présentais (ici) dans l'un des recueils de ses poèmes L'OPÉRATION D'AMOUR.

Je consacrerai la semaine poétique de février à cet homme, né en 1930, qui était également connu pour son militantisme politique. Très engagé contre la dictature, la vie de ce poète concentre à elle seule toutes les horreurs de la dictature argentine. Son fils Marcelo, âgé de 20 ans, a été assassiné par ce régime. Sa belle fille, Maria Claudia Garcia, est enlevée en 1976 à Buenos Aires, alors qu'elle était enceinte. Emmenée en Uruguay dans le cadre du plan Condor, un programme de répression des opposants à l'échelle internationale, elle accouche d'une fille qui sera donnée illégalement à la famille d'un policier uruguayen, puis disparaît. Juan Gelman se bat pour retrouver sa petite-fille. En 2000, 24 ans après, il y parvient.

Commentaire LIV (homero manzi)

amour qui taille / polit / met

dernière main et perfection /

là ne prend pas fin ton travail /

tu répands des refuges comme

 

des laits de feu afin que nul

ne cogne sur son amertume /

sur sa douleur / enfants que tu 

protèges des murs de la nuit

19 janvier 2014

Semaine Poétique : JEAN TARDIEU (1)

2014

JOURS PÉTRIFIÉS

Les yeux bandés les mains tremblantes
trompé par le bruit de mes pas
qui porte partout mon silence
perdant la trace de mes jours
si j'attends ou me dépasse
toujours je me retrouve là
comme la pierre sous le ciel.

Par la nuit et par le soleil
condamné sans preuve et sans tort
aux murs de mon étroit espace
je tourne au fond de mon sommeil
désolé comme l'espérance
innocent comme le remords.

Un homme qui feint de vieillir
emprisonné dans son enfance,
l'avenir brille au même point,
nous nous en souvenons encore,
le sol tremble à la même place,

le temps monte comme la mer.

 

Extrait de Jours pétrifiés, Jean Tardieu. Gallimard, 1948

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16 janvier 2014

Semaine poétique : JEAN TARDIEU


SEMAINE JEAN TARDIEU

16 janvier 2014

Lecture en cours : DÉSORDRES, Lettre à un père. Elsa Montensi

DÉSORDRES

16 janvier 2014

LE PREMIER QUI PLEURE A PERDU ; Sherman Alexie

Le premier qui pleure

Le Premier qui Pleure a Perdu
Sherman Alexie
Albin Michel, col. Wiz, novembre 2013
288 pages, 14,50 €
À partir de 11 ans

 

 

 

 

 

 

Du début « Je suis né avec de l’eau sur la tête » ... à la fin « Nous n’avons pas compté les points ».

« Je », c’est Junior. « Nous », c’est Rowdy et Junior.

Entre ces deux périodes, ce sont les péripéties à la fois émouvantes et facétieuses d’un jeune Indien Spokane*. Junior est né « avec trop d’huile dans le crâne », dit-il. C’est-à-dire avec trop de liquide céphalo-rachidien. Il explique que « le moteur qui [lui] permettait de penser, de respirer et de vivre a ralenti et s’est enlisé ». Et que son cerveau se noyait dans l’huile et qu’il a fallu une opération chirurgicale : « les médecins ont ouvert mon petit crâne et aspiré toute cette eau en trop avec un minuscule aspirateur ».

Il préfère prévenir tout de suite son lecteur : « toute l’histoire est rigolote et farfelue ». Sous cet angle, en effet, Junior a l’art et la manière de présenter les choses avec humour, fantaisie et désinvolture. Et ce sont de francs sourires qu’arrachent les portraits croqués par le jeune garçon. Portraits au deux sens du terme : narratifs et crayonnés. Parce que Junior dessine. « Je dessine parce que les mots sont trop imprévisibles. Je dessine parce que les mots sont trop limités. […] Je dessine parce que je veux parler au monde. Et que je veux que le monde m’écoute ». Un monde qu’il voit « comme une série de barrages rompus et d’inondations et [ses] dessins comme de tout petits petits canots de sauvetage ».
Ses croquis illustrent à merveille ses narrations qui sont aussi de petites pépites du genre. « Mes mains et mes pieds étaient gigantesques. En CE2, je chaussais du 46 ! Avec mes grands pieds et mon corps de crayon, j’avais l’air d’un L majuscule quand je marchais dans la rue ».

L’ensemble du roman est ainsi émaillé de croquades, écrites et dessinées, particulièrement bien venues et désopilantes.

Mais. Mais. Ce serait regrettable de ne s’en tenir qu’à cet aspect du livre, même si cette apparence lui confère un atout évident pour qu’un ado ose le prendre sans crainte de se roussir les doigts et les neurones. C’est drôle, délibérément drôle et c’est un excellent argument de « vente ».

Reste le fond, la charpente de ce roman.

Là, c’est du grand art ! Sherman Alexie déroule magistralement le fil dramatique de la vie sur la réserve Indienne de Spokane. Les « fils du soleil » n’ont visiblement pas bénéficié de la chaleur de sa lumière. Ils ont plutôt été brûlés par les radiations de l’astre. L’auteur sait de quoi il parle. Lui-même appartient à cette communauté Spokane, lui-même a grandi sur la réserve. Ce texte est complétement autobiographique. Déterminé à ne pas passer sa vie sur la réserve, il a cherché un meilleur enseignement à l'école secondaire de Reardan, où il était un des meilleurs élèves et un remarquable joueur de basket-ball. Comme son jeune héros. Les tableaux qu’ils brossent de la pauvreté, de l’alcoolisme, de l’exclusion, du rapport entre les blancs et les indiens, sont hurlants de vérité. Et pour cause. C’est sa mémoire, ses bouleversements, ses enthousiasmes, sa désespérance, sa haine parfois, ses découragements, ses espoirs, ses victoires sur lui-même… c’est tout ça « Le Premier qui Pleure a Perdu » (« The absolutely true diary of a part-time indian » titre original), c’est tout ça et tellement davantage ! C’est un roman de société qui nous est donné à lire, et si le tout est servi avec humour, c’est surtout sarcastique, caustique, corrosif. Mais plein d’espoir aussi, puisque le livre s’achève sur la force réconfortante de l’amitié et sur la victoire, les victoires.

 


*tribu indienne. Spokane, dans la langue indigène, signifie « fils du Soleil »

15 janvier 2014

DITES-LEUR QUE JE SUIS UN HOMME . Ernest J.Gaines

Gaines Dites leur que je suis un homme

Dites-leur que je suis un homme, Ernest J. Gaines
Liana Levi, 2010, 292 pages, 10 €

 

 

 

 

 

 

 

"adieu meusieu wigin dite leur que je sui for dite leur que je sui un omme adieu meusieu wigin"... Quelques mots laborieusement écrits sur un cahier, du fond d'une cellule. Les derniers mots de Jefferson, un jeune noir de Louisianne, dans les années quarante, accusé de l'assassinat d'un blanc. Coupable ? Innocent ? Le lecteur ne le saura jamais, et d'ailleurs ça n'a guère d'importance puisque son sort est immédiatement scellé : il sera condamné à la chaise électrique par un jury de blancs qui ne lui accordera aucune indulgence.

Un avocat est commis d'office qui, pour requérir son acquittement, laisse entendre qu'il serait cruel de tuer un homme pas plus intelligent qu’un porc. En exprimant la conviction que les noirs sont des animaux, il ne fait qu’afficher ouvertement le racisme blanc de cette période de l’histoire des États-Unis. La condamnation à mort de Jefferson ne soulève aucun mouvement de protestation. Seules Miss Emma, la marraine du jeune homme et la tante de Grant, l’instituteur (noir) de la communauté, se révoltent. Pas contre le verdict, mais contre la façon dont Jefferson a été souillé et déshonoré. Les deux femmes vont confier à Grant la mission d’aider le condamné à relever la tête avant de mourir, à retrouver son humanité.

Voici un terrible et grandiose réquisitoire contre le racisme.
Mais pas seulement. C’est aussi – et surtout –  une plaidoirie vibrante sur le droit à la dignité de tout être humain. Ernest J. Gaines développe magistralement, à partir de ce qui n’était qu’un fait divers (la mort d’un noir ne méritait pas l’intérêt… mais l’imparfait est-il si approprié que cela ?) les sentiments contradictoires qui peuvent se faire jour dans l’esprit de ceux qui, pourtant, s’insurgent contre l’arbitraire et la persécution. L’instituteur, convaincu dans sa chair de la tyrannie qu’exercent les blancs sur les noirs, affirme ironiquement cependant qu’il sait que cette société coercitive ne changera jamais alors qu’il apprend aux enfants à devenir des hommes et des femmes forts malgré leur environnement. Il est dans l’incapacité d’affronter ses propres peurs. Et c’est en aidant Jefferson à trouver sa place d’homme dans une société qui ne la lui reconnaît pas, que Grant se transforme lui-même. En se battant pour le salut humain de Jefferson, en acceptant son devoir de participer à l’amélioration de la société dans laquelle il vit.

Je vais conclure par ce qui m’a servi d’introduction : "adieu meusieu wigin dite leur que je sui for dite leur que je sui un omme adieu meusieu wigin". Jefferson, en mourant « comme un homme » et non comme l’animal que les blancs voient en lui, comprend qu’il va défier la société qui l’a accusé et condamné parce qu’il a la peau noire.

Un roman émouvant, combatif, digne, militant, austère aussi qui décrit le long chemin d’un homme qui mourra la tête haute. Un roman très proche de la biographie : Grant y est sans doute l’image de Gaines.

15 janvier 2014

Lecture en cours : LE PREMIER QUI PLEURE A PERDU, Sherman Alexie

LE PREMIER QUI PLEURE

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