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6 janvier 2014

LE CYCLISTE DE TCHERNOBYL ; Javier Sebastián

J’avais promis « ma rentrée » pour janvier ; alors, tant qu’à faire,  je vais offrir, pour ma  première chronique 2014, un roman qui – je ne l’ai compris qu’à la fin de ma lecture – provoque des débats assez houleux. C’est, d’ailleurs, un commentaire aussi anonyme qu’incorrect (et qui ne citait pas ses sources) sur le blog de Jérôme qui m’a assez peu délicatement mis la puce à l’oreille.

 

Cycliste-de-Tchernobyl-Javier-Sebastian

Autant le dire tout de suite, ce roman m’a bousculée. Un peu lente au démarrage, je me suis surprise à avaler les pages au fur et à mesure que l’intrigue se nouait et que ma compréhension des évènements s’opérait, et je faisais des allers/retours entre les chapitres et la 4ème de couverture. Parce que cette 4ème induit en erreur, si l’on n’y prend garde. « Ce roman magistral est librement inspiré de la vie de Vassilii Nesterenko, physicien spécialiste du nucléaire, devenu un homme à abattre pour le KGB pour avoir tenté de contrer la désinformation systématique autour de Tchernobyl ». Mes allers/retours, au fil de ma lecture, je les ai faits aussi avec la toile et la biographie de Vassilii Nesterenko. Et, pour équilibrer mes lectures et me donner la possibilité d’avoir un avis aussi objectif que possible (si ce l’est) sur cette tragédie mondiale, je lirai bientôt le document de Svetlana Aleksievich : « La supplication : Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse ». Parce que Vassilii Nesterenko, décédé en 2008, n’a jamais été ce « vieil homme hagard » abandonné sur les Champs Élysées qui n’a de crainte que d’être liquidé par le KGB. Vassia, le héros du roman magistralement écrit par Javier Sebastián, n’est pas Vassilii Nesterenko, même si comme son modèle et inspirateur, il est physicien nucléaire,

Ceci entendu, nous voici libres d’entrer dans un texte mené de main de maître, qui a obtenu le prix Cálamo 2011 en Espagne et a été traduit, outre en français chez Métailié par François Gaudry, en allemand, italien et néerlandais. C’est une fiction qui emprunte fidèlement au réel les lieux des évènements : la ville fantôme de Pripiat existe, avec sa grande roue et ses autos-tamponneuses en ruine, à trois kilomètres à peine de cette centrale du diable qui en un instant, en avril 1986, a compromis – voire détruit –  irrémédiablement l’avenir de milliers de personnes. C’est le traitement créateur de cette catastrophe nucléaire et de ses conséquences qui a retenu mon attention et mon souffle tout au long des pages, l’alliance du contexte historique et documentaire avec une fiction très bien ficelée qui entraîne le lecteur dans une errance entre Paris, Minsk et Pripiat, au gré des exodes et des va-et-vient de la vie et de la mémoire du personnage central.

Javier Sebastián donne là un terrible réquisitoire contre le nucléaire, mais empreint d’une émouvante humanité pour ces survivants, ces « samosiol » qui veulent vivre là où la vie n’a plus de place.

Ils sont violents ces pans de vie qu’arrachent à la mort ces personnages fantasques qu’aucun tabou ne retient plus puisqu’ils sont conscients qu’ils vivent pour la dernière fois. Alors ils chantent Demis Roussos, alors ils jouent, alors ils s’entretuent, alors ils offrent leurs expériences à la science. Alors, les uns après les autres, ils meurent. Ils perdent à jamais leurs êtres chers et n’aspirent qu’à les rejoindre. Ils savent, mais ils poursuivent leur lutte – presqu’en silence – contre le silence. Celui du pouvoir en place qui tait sciemment ce cataclysme (et qui le taira au Monde avec a complicité des autres dirigeants planétaires) ; celui qui plombe Pripiat, « leur » ville qu’ils veulent jacasse ; celui qui m’a saisie lorsque j’ai refermé ce roman.

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Commentaires
J
Je signe bien sûr – c'est un débat, c'est une échange. <br /> <br /> <br /> <br /> S'agit-il d'un malentendu entre littérature et historiographie? Je ne pense pas. Ca peut avoir un sens quand on parle des "Bienveillantes" de Jonathan Littell ou "De sang froid" de Truman Capote de raisonner comme Guidée en termes de "tentative de restitution historique". Mais, c'est tout à fait autre chose quand on parle de postmodernisme. Pour simplifier on est tenté de dire que dans ce genre de roman c'est les déconstructions / constructions / reconstructions de l'auteur qui deviennent le sujet. Donc, exit Nesterenko (l'homme) pour faire place au porte-parole de Sebastián pour réciter son texte. D'où le problème éthique quand le porte-parole s'appelle "Nesterenko" .
A
Forcément on ne peut as être insensible même si j'ai beaucoup de mal à entrer par le biais de la littérature dans des problématiques actuelles. Je te souhaite par la même occasion une très bonne année 2014.
M
Je n'ai pas trop le temps en ce moment, mais je le vois en librairie, il n'est pas impossible que je me laisse tenter...
J
De parler de la déontologie et des responsabilités de l'auteur vis-à-vis de son sujet est une question qui a peu de chances d'être entendue de nos jours, mais à mon sens, c'est à juste titre que Maryvonne David-Jougneau soulève la question de la liberté, des droits et des devoirs de l'auteur (voir http://www.liberation.fr/culture/2013/12/16/la-vraie-histoire-du-cycliste-de-tchernobyl_966949 ) et le cas du cycliste de Tchernobyl est exemplaire. <br /> <br /> <br /> <br /> D'un côté, il y a un Nesterenko, témoin et acteur d'une terrible catastrophe humaine. Sa réaction immédiate est un engagement total pour venir en aide aux victimes. Il sacrifie tout: sa carrière, et avec ça, sa position sociale, son confort matériel, sa santé. Car Nesterenko est un humaniste, dans le sens qu'il croit en l'homme, à ses devoirs et que son destin est, en partie, entre ses mains. De l'autre côté, nous avons l'écrivain spectateur, le commentateur qui s'accapare de ce nom pour le faire entrer dans un scénario à lui; scénario où justement - déconstruction oblige - les valeurs et les principes de Nesterenko sont inversés, caricaturés, dénaturés, où l'engagement est remplacé par une errance burlesque, le tragique par le dérisoire. <br /> <br /> <br /> <br /> Détail important: l'idée n'effleure pas l'auteur qu'il pourrait faire une mise en garde aux lecteurs; prévenir qu'alors que certains éléments dans le récit correspondent à des réalités biographiques, d'autres détails (mais lesquels pour le lecteur non averti?) relève de la pure imagination de l'auteur et n'ont aucun lien avec la vie de Nesterenko. C'est comme si, face aux exigences de sa propre créativité artistique, la vie de l'autre ne compte strictement pour rien, ne mérite aucune reconnaissance, peut être réduite à une simple matière première, un des divers adjuvants disponibles dans la fabrication de son produit. <br /> <br /> <br /> <br /> Il y a un gouffre éthique colossal qui sépare ces deux mondes. Comme l'a dit Galina, l'épouse du professeur Bandazhevsky (traqué, lui aussi, par le pouvoir de l'état) lorsque Nesterenko a été un des seuls à oser les soutenir: "Nesterenko – ça c'est un homme". Mais dans ce livre, le nom, le renom, la vie de cet homme lui sont confisqués. Tout sens qu'il a pu donner à sa vie est effacé pour le réduire en marionnette, contraint à réciter la partition d'un autre – ce qui explique ce sentiment de malaise qui nous reste sur le cœur.<br /> <br /> <br /> <br /> On ne peut s'empêcher de noter que cette mode littéraire qui est la "Faction", (où on utilise des éléments de la vie d'autrui pour une création littéraire) a, dans sa forme postmoderne, une troublante correspondance avec les propos de Dany-Robert Dufour dans le "Divin Marché". Dufour parle de cet "utilisation de l'autre comme un moyen pour parvenir à ses fins", de cet "égoïsme grégaire … du troupeau postmoderne" et cet fascination d'offenser "tout maître en situation de t'éduquer". En somme la "logique culturelle du capitalisme tardif" ou le "simulacre remplace le réel". <br /> <br /> <br /> <br /> Pour terminer avec une boutade. Que faire? Déposer un brevet sur nos propres vies pour se protéger des spoliateurs?
J
Qu'est-ce que j'ai aimé ce roman. Un beau souvenir de lecture commune avec Marilyne, un parmi tant d'autres^^
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