PAS ASSEZ POUR FAIRE UNE FEMME, Jeanne Benameur
Je ne suis pas une inconditionnelle de Jeanne Benameur. Des romans que j'ai lus d'elle ( "Pourquoi pas moi ?" - "Même si les arbres meurent") ... - pas beaucoup en fait - de ses poésies ("Notre nom est une île"), j'ai saisi au vol une pensée singulière, mais qui ne m'a pas toujours fait frémir. Peut-être parce que je crains les auteurs à succès, ou le succès des auteurs. Peut-être.
C'est la rentrée littéraire. Jeanne Benameur a publié chez Thierry Magnier un roman destiné aux adolescents. J'ai entendu dire, j'ai lu écrire que, dans ce registre, elle excelle. Et cette fois, je suis tombée sous le charme. Sous le charme d'une écriture rapide, fluide, d'un texte qui émeut, qui questionne, qui touche quelques fibres intimes, quelques tréfonds de la vie d'une lectrice qui avait dans les vingt ans à l'époque.
L'héroïne, la narratrice, elle, en 1970, a 17 ans. Juste l'âge qu'avait l'auteure en cette même année. Certains vont sans doute se demander si ce récit est autobiographique. Peut-être. Mais qu'importe.
Une jeune fille de 17 ans. Timorée. Qui obtient son bac. Qui, logiquement, quitte la demeure paternelle pour rentrer à l'Université. Qui savoure le bien-être et le bonheur de sortir du carcan familial : un père tyrannique et limite facho, une mère soumise, une soeur en mode "je ne dis rien qui pourrait faire des étincelles, mais je n'en pense pas moins". Difficile pour cette jeune fille, mais tellement délicieux d'habiter sa petite chambre d'étudiante totalement inconfortable. Une pseudo-liberté qu'elle savoure à toutes petites bouchées, jusqu'au moment où "une voix" (non, non... il n'est pas question de Jeanne d'Arc) résonne dans l'amphi. Une voix qui raisonne.
C'est l'histoire d'un amour qui éclôt. Deux gamins, forts de leurs convictions politiques naissantes, découvrent la rencontre des corps. La rencontre des mots. La rencontre des idées. La rencontre des pensées.
Dans les mêmes moments narratifs, l'héroïne, met en parallèle sa lutte pour son émancipation personnelle et cette lutte politique que son amoureux insuffle en elle. Un long travail de prise de conscience. Long et douloureux processus pour cette partie intime. Long et épanouissant mouvement pour l'entrée dans une société qui, je le rappelle, est forte du mouvement de 1968, né deux ans auparavant.
C'est un texte très intime que propose ici Jeanne Benameur. Certains (ils se reconnaîtront) trouveraient qu'il est un peu trop féministe. D'autres diraient que cette histoire d'amour adolescente n'est qu'une histoire d'amour de plus. D'autres encore penseraient que la lutte idéologique de 68 est un peu (très ?).surannée en 2013. Oui, c'est un peu tout ça et c'est tant d'autres beautés délicates et sensibles aussi que l'éveil des sens, de la féminité,
Mais ce n'est pas l'apothéose... il faudra à cette jeune fille, insatiable désormais, beaucoup beaucoup d'années, de travail sur elle, pour se construire une identité porteuse de vie, d'indépendance et de liberté.
Pour lire l'avis de Jérôme, c'est ici. Et celui de Noukette, c'est ici.