L'ENNEMI DU MONDE, Jack London
J'appartiens à la génération de "Croc Blanc" et de "L'appel de la forêt". Des souvenirs, un peu diffus maintenant, mais quand même des souvenirs de "belles lectures". Pour une pré-adolescente un peu coincée, un peu agrippée aux jupons de sa maman, un peu soucieuse du regard sévère de son papa, ces deux romans offraient un parfum d'évasion, d'aventure.
J'ignorais - inculte, suis-je - que Jack London avait écrit d'autres textes. En réalité, j'ai abandonné l'écrivain en même temps que l'adolescence. Je n'avais jamais, jusqu'alors, cherché à prendre de ses nouvelles...
Belle transition, n'est-ce pas, pour évoquer, ici et maintenant, deux nouvelles signées de cet écrivain. Traduites par Simon Le Furnis, éditées par La Part Commune, écrites en 1914. Textes prémonitoires, affirment la plupart des critiques, du chaos dans lequel, un quart de siècle plus tard, le monde sera plongé du seul fait d'un fou meurtrier et psychopathe.
Deux nouvelles, deux personnages, deux victimes, deux pervers assassins. L'un fera les frais de l'esprit démoniaque d'un père sans foi ni loi, qui déclarant que s'il a donné la vie à son fils, il est donc en droit de la lui retirer ; il servira donc de cobaye aux divagations machiavéliques de son géniteur. L'autre, enfant mal-aimé, rejeté, adolescent brillant mais repoussé par tous, adulte boycotté, honni, vilipendé ; il construit sur cette succession d'injustices patentes une haine farouche et destructrice contre l'humanité entière.
Visionnaire, Jack London ?
Aucun comité d'éthique contemporain n'aurait accordé grâce aux inventions scientifiques scélérates et manichéennes que les cerveaux de ses protagonistes (ne leur prête-t-il pas le sien ?) conçoivent. En tout cas les deux textes relèvent du fantastique et de l'apocalyptique. C'est du chaos que traite l'écrivain, des cataclysmes que la démence sanguinaire des hommes peuvent produire. C'est sûr, l'individu à la moustache balai-brosse "dont on ne peut pas dire le nom" pointe ses vibrisses, ici. En avant-garde. En éclaireur.
C'est à lire, en s'offrant aussi la possibilité d'autres angles d'approche : celui des mythes,
J'emprunterai à Simon Le Fournis, traducteur de ces deux textes rares, la conclusion : "[ils] ne sont pas tant des récits du mal que de la déréliction qui y mène".