ÉCLIPSE D'ÉTOILE, Nelly Sachs
C'est vrai que je suis dans une "phase poésie", à l'affût de quelques mots qui parlent, qui me parlent ; la poésie, c'est, pour moi, de l'émotion dite au plus bref, au plus tendu, au plus direct. Une certaine forme de minimalisme qui dit une certaine forme d'essentiel.
Nelly Sachs, jusqu'à ce jour, je n'en avais pratiquement jamais entendu parler. Il a fallu que Jeanne évoque Hilde Domin, lors d'un commentaire (ici), pour que je parte en quête de ces poétesses allemandes. Curiosité, quand tu me tiens !!!
J'ai ouvert le recueil des poésies écrites par Nelly Sachs et...
Tu jouais bien
Avec rien
Que des bulles d'eau
Qui sans bruit éclatent dans l'air.
Mais la lumière au sept couleurs
Donnait à chacune son visage
Juste un battement de coeur
Comme contrée d'ange.
Or, son ultime aventure -
Silence ; une âme est sortie du feu.
Nelly Sachs , extrait de Éclipse d'étoile, traduit par Mireille Gansel, Éd Verdier
Nelly Sachs, née dans une famille juive de Berlin, en 1891, À 15 ans, elle découvre Selma Lagerlöf et lui voue ne grande admiration ; elle entame d'ailleurs une correspondance soutenue avec elle. Elle échappe de justesse aux persécution nazies et se réfugie en Suède en compagnie de sa mère en 1940. Elle y apprend la langue de son pays d'accueil, et consacre beaucoup de son temps à traduire des poètes suédois, Gunnar Ekelöf, Johannes Edfelt, et Karl Vennberg, notamment.
APOTHÉOSE
Donne-moi du poison pour mourir ou des rêves pour vivre
bientôt l'ascèse prendra fin aux portes de la lune / que déjà le soleil a bénies
et quoique non mariés au réel les rêves du mort
n'auront plus à pleurer sur eux mêmes
père je rends à ton ciel mon œil comme une goutte bleue à / la mer
le monde noir ne s'incline plus devant les palmes et les psaumes
mais des vents millénaires peignent les cheveux des arbres
les sources désaltèrent l’invisible voyageur
vainement les quatre points cardinaux entourent la civière
et par enchantement la mousseline des anges
se change
en rien.
Gunnar Ekelöf : Tard sur la terre. Jean-Clarence Lambert. Gallimard
C'est en 1949 qu'elle publie Éclipse d'étoile.
De 1954 à 1969, elle entretient une correspondance avec Paul Celan : un extrait, écrit de Stockholm, le 18 juin 1960, pour Paul, Gisèle et Éric Celan
Vous mes Trois bien-aimés
Après l'adieu et ensuite traversé les airs et ensuite descendre, arrachée – mais vous m'avez devancée, sur le sol suédois l'herbe, un instant, vert doré comme dans les seuls rêves d'enfant. J'essaye de réaliser car j'ai appris – appris et reçu un peu de votre rayonnement, vous qui faîtes front – et pas seulement à trépasser dans la souffrance – dans le bonheur comme je l'ai toujours fait, avec trop de hâte. Mais il faut encore beaucoup d'entraînement, si difficile de saisir la vie en dehors quand après une longue époque on fut ainsi de nouveau à la maison.
Votre Nelly
Le 10 décembre1966, Nelly Sachs se voit décerner le Prix Nobel de Littérature. Elle s'éteint quatre ans plus tard ; cette même année, Paul Celan s'est donné la mort.
"Je n'ai pas de pays et, au fond, pas non plus de langue. Rien que cette ardeur du coeur qui veut franchir toutes les frontières", écrit-elle (Éli suivi de Lettres et d'énigmes en feu).
Quand le jour devient vide
dans le crépuscule,
quand commence le temps sans images,
que les voix solitaires se rejoignent -
et quand les animaux ne sont rien que chasseurs
ou bêtes traquées -
et les fleurs seulement senteur -
quand tout devient sans nom comme au commencement -
tu vas sous les catacombes du temps
qui s'ouvrent à ceux qui sont proches de la fin
là où grandissent les pousses du coeur -
tu sombres
dans l'intériorité obscure -
passant déjà la mort
qui est seulement un seuil venteux -
et grelottant de ce chemin
tu ouvres les yeux
dans lesquels déjà une nouvelle étoile
a laissé son éclat -
Nelly Sachs , extrait de Éclipse d'étoile, traduit par Mireille Gansel, Éd Verdier