ANA NON, Agustin Gomez-Arcos
Agustin Gomez-Arcos est né en 1933 à Almeria. Il est décédé à Paris, en 1988. Il était le neuvième enfant d'une famille républicaine. Passionné de théâtre, il est d'abord comédien, metteur en scène. Puis il traduit des pièces et finit par en écrire lui-même. Il sera censuré et quittera l'Espagne, en 1966. Il apprend le français et publie dans cette langue de nombreux romans, dont 'L'agneau carnivore', en 1975, 'Ana non' , pour lequel l'auteur a obtenu 'le prix du livre Inter' en 1978, est sorti le 22 mars 1977,.
Ana non, Ana Paücha, Anita... Une andalouse, une femme de la mer, du soleil. Anita, fille de pêcheur est éblouie par Pedro Paücha. Son amour - un amour sans parole - est prodigieux et réciproque. Ces deux-là vont concevoir trois enfants, José, Juan et Jesus, dit Le Petit. Mais la guerre lui confisque son bohneur, la dépouille, la dissout. Son mari et les deux aînés y perdent la vie. Jesus croupit en prison, dans le nord de l'Espagne. "Décolorée, dénaturée par le deuil, Ana non". Depuis trente ans, Ana Paücha s'étiole sans ses hommes.Elle se fâne, dépérit, s'appauvrit.
Elle a soixante-quinze ans. Elle sait qu'elle va vers la mort ; elle en accepte l'idée, puisqu'elle va partir à sa rencontre. Mais avant, elle veut revoir son enfant incarcéré. Alors, elle confectionne pour 'Le Petit' "le pain aux amandes, huilé, anisé et fortement sucré (un gâteau, dit-elle)" dont raffolait son fils, alors elle range et nettoie soigneusement sa maisonnette, alors elle ferme sa porte et entreprend un voyage, à pied, vers son fils. Un voyage qui va durer deux ans.Deux années d'une marche harassante, du sud au nord, le long de la voie de chemin de fer. À mesure que le corps d'Ana s'étiole,comme ce pain aux amandes, huilé, anisé et fortement sucré (un gâteau, pense-t-elle) se racornit, la pensée d'Ana non se déploie ; Gomez-Arcos lui fait vivre une intense métamorphose psychique. Cette vieille femme, qui a pris rendez-vous avec la mort à l'issue de sa pérégrination, 'Ana rebelle, Ana guerrière', s'ouvre au monde et à la conscience.
- Tout ce qu'il y a de plus noble et de plus misérable dans l'histoire de notre pays est passé par ici (lui explique l'aveugle initiateur qui chemine un temps avec elle, en traversant la vallée du Tormes, dans la province de Salamanque)
[...]
- Tu veux dire que nous sommes dans le berceau de toute notre culture, autrement dit de notre angoisse, répond 'Ana clairvoyante, Ana lucide, Ana cultivée'.
Le regard de Gomez-Arcos sur le franquisme est sans concession (on aurait pu s'en douter) ; le voyage initiatique dans lequel il emmène son héroïne, lui permet de brosser un tableau sinistre, effroyable de la société espagnole sous le régime du Caudillo."Un républicain, un rouge, n'a pas de patrie, pas de postérité". Le portrait qu'il dresse de cette femme courageuse et pourtant résignée (c'est pour cela qu'Ana Paücha est devenue Ana non) montre comment "on peut apprendre la haine" (en apprenant à lire, notamment). L'auteur n'épargne ni la religion, ni les bourgeois félons et perfides.
Mais c'est aussi une magnifique image de femme que le romanvcier donne à découvrir : Ana épouse, Ana mère, Ana travailleuse, Ana fière, Ana courage, Ana volontaire, Ana tenace... Ana deuil, Ana douleur, Ana souffrance, Ana martyre, Ana pauvreté... Ana cri, Ana sanglot, Ana grognement, Ana hurlement...Anita, Ana Paücha, Ana non...Ana tout et plus encore.
Vraiment un bouleversant roman. Je l'avais lu il y a une trentaine d'années. Je l'ai relu avec autant d'émotion. Du plaisir pour les yeux, pour la pensée.
C'est avec joie que j'inscris cette lecture au challenge de Laure (challenge 'À tout prix', ici), dans l'espoir que mon billet donnera l'envie de découvrir ce texte poignant.